Les
politiciens s’intéressent beaucoup ces jours-ci aux 18-35,
cette génération qui semble de plus en plus se soucier
de la politique pour la critiquer de ce qu’elle ne sert qu’à
boucher de plus en plus leur avenir. Mais cette sollicitude des politiciens
est occasionnelle. Cette génération ne va pas voter.
Elle crie au loup. Les politiciens en ont besoin pour le spectacle
qu’ils offrent pendant une période électorale.
Quant aux préoccupations des 18-35, qu’ils le sachent
ou non, elles sont sans espoir. Leur critique et leur révolte
ne changeront rien à ce qui est en jeu en deçà
et au-delà du spectacle auquel l’autre génération
réduit la politique puisque les États, en perpétuel
conflit ou en concurrence, n’ont plus les moyens des promesses
que font les politiciens en regard des problèmes qui hantent
cette génération. Mais dans vingt ans ceux qui aujourd’hui
ont 15-45 ans devront confronter le sublime devant le devoir qu’ils
auront de décider du sort de l’humain. Car alors les
problèmes de l’Occident ne seront rien en regard du sort
de l’humanité sur cette planète que les corporations
multinationales créées par les pays les plus riches
auront mis en cause.
Le réchauffement
global et ses conséquences, les migrations de populations,
l’urbanisation galopante, l’appauvrissement grandissant,
l’affaiblissement des pouvoirs des États en regard de
ceux des corporations multinationales, la nécessité
de restructuration des liens sociaux dans une période d’affaiblissement
des valeurs et d’estompage des croyances, toutes ces conditions
pour une impasse globale exigeant de la créativité humaine
de nouvelles solutions sont déjà là et agissantes.
Il faudra sans doute encore une ou deux décennies pour que
ces conditions deviennent en Occident des faits qui s’imposent
politiquement. Mais maintenant que leurs effets déjà
sont actifs et déroutants au niveau des vies individuelles,
il faut en prendre la mesure et calculer ce que ces effets rendent
déjà possible. C’est à l’initiation
de ce travail immense que vont s’atteler nos conférences
de cette année.
Nous
mettrons l’adolescence au cœur de ce travail car c’est
le moment charnière où le nouveau citoyen passe d’une
situation où il subit les effets de cette rupture en marche
des civilisations à une situation où il devient responsable
des créations exigibles du fait de ces ruptures pour le maintien
de l’humain. Encore faut-il que la sensibilité qu’il
se découvre déjà pour cette humanité,
il puisse en articuler l’expérience, non seulement comme
quelque chose qui échappe aux moyens du langage, mais qu’il
puisse en faire une cause qui donne un sens à ses choix et
à ses combats. Il fait sans doute aujourd’hui à
son corps défendant l’expérience du sublime qui
le confronte au plus intime de son être à quelque chose
de plus grand que lui et de plus grand que le collectif même
dont il devient membre. Il ne sait pas, et il est loin de se douter,
que ce qui lui arrive alors a le plus grand rapport avec cette féminité
qui fait question dans sa vie, qu’il soit un homme ou une femme
alors importe peu. C’est d’ailleurs cette expérience
qui le sort de l’enfance et de la famille pour le projeter hors
du langage, là où il ne trouvera nul repère,
sauf à être en quête de compagnons pour une aventure
qui n’a pas encore de nom.
Cela
suppose que les générations qui l’auront précédé
ne soient pas que des obstacles. Aussi nous allons nous préoccuper
de la reconstitution du langage qui s’amorce dans nos sociétés
et qui laisse pantoises les générations qui y perdent
leur latin. Cette restructuration du lien social touche profondément
nos affectivités par le reconditionnement qu’elle organise
de ce qui désormais va être considéré comme
‘recevable’. De toute évidence, et c’est
le moins que l’on puisse en déduire, dans ce contexte
de reconsidération de ce qui doit être acceptable nous
avons à nouveau perdu la féminité. Celle-ci en
effet, une fois que l’adolescence lui en a ouvert les perspectives,
reste marquée du sceau du sublime. Au-delà de tout ce
qui peut se penser comme beauté, la féminité
ouvre l’humain sur quelque chose de plus grand pour lequel les
repères manquent et où il faut sauter sans filet. La
beauté qu’elle initie et à quoi elle réfère
n’est que la condition, l’ouverture vers ce hors lieu
qui échappe au lien social et à ses normes. C’est
sans doute une condition fondamentale de l’humain d’avoir
à faire face et à répondre à ce sentiment
du sublime quand il est confronté à quelque chose de
plus grand que le collectif même dont il fait partie et qui
l’ouvre sur une dimension de lui-même par rapport à
laquelle il est sans repère et sans garantie. L’intelligence
artificielle et les nouvelles technologies qui soutiennent pour une
bonne part les nouveaux mythes du posthumanisme ou du transhumanisme
promeuvent une conception du corps qui serait une mécanique
biologique où un psychisme serait programmable dans la droite
ligne de cette conception élitiste de l’organisme, secrètement
alimentée par la théorie moyenâgeuse de la prédestination,
qui aura fondé le racisme et piégée la psychologie
et la psychiatrie occidentales.
La famille
en Occident, objet encore intouché de la loi, alors que ses
conditions de possibilités ont déjà fait naufrage,
coincée entre l’échec du couple et la permanence
économique de la parenté, devient en quelque sorte le
tombeau d’une sexualité confinée dans le contrôle
de la reproduction et du genre, après avoir perdu ses fondements
esthétiques. Ce qu’elle évoque cette famille,
pour l’adolescent qui jusque-là ne savait pas que ses
parents n’étaient qu’un couple, est de l’ordre
du fantasme. Il découvre que la loi ignorait ses droits humains
d’enfant dans cette affaire du couple et que la parenté
visée par cette loi est finalement au service et au profit
d’abord des intérêts du collectif. Ces découvertes
qui ravagent ses illusions d’enfant sont impropres au dire car
il n’y a pas de mots dans le langage pour rendre de telles expériences
recevables. De toute façon, elles sont supportées par
quelque chose qu’il expérimente dans son affectivité
et la formation de son corps comme fondamentalement ‘inadressable’
et qui l’emporte déjà vers des lieux qui sont
encore à venir. Dans l’univers culturel où il
vit aujourd’hui, de telles expériences sont référées
immédiatement à quelque trouble mental confié
à la langue de bois psychiatrique qui les abandonnera aux pouvoirs
des pharmaceutiques.
Il faut
donc revenir aux Fondamentales pour prendre des distances et réévaluer
ce qu’il en est de l’humain et ce qui arrive à
ses différentes dimensions quand on ne peut plus tenir compte
de l’esthétique qui ouvre un champ à ses créations
comme à ses exigences quand il est confronté au sublime.
Nos réflexions et nos discussions se concentreront sur la recherche
de ces racines de l’humain où nous cherchons encore à
trouver des fondements pour une éthique ouverte sur ce qui
est encore à venir.