Ces
dernières années nos discussions portaient sur les perspectives
où nous conduit l’époque que nous traversons dans
l’histoire de l’humanité, et nous nous interrogions
sur l’humain pour en saisir plus. De la globalisation financière
à la mondialisation que nous avons présentée
comme y faisant un obstacle incontournable, nous en étions
venus à travers les changements profonds qui bouleversent nos
conditions de vie, à nous interroger sur ce qui émerge
à notre insu dans ce qui s’impose de plus en plus comme
une fin de civilisation amorcée dans cette contradiction indépassable.
Il nous faut bien nous rendre à l’évidence, les
civilisations meurent y compris celles qui après plus de deux
millénaires soulèvent encore notre admiration et nos
étonnements. Et quand nous considérons dans l’histoire
de l’humanité celles à propos desquelles les historiens
nous ont un peu informés, force est de constater que quand
se profile pour elles l’horizon d’une fin, elles se durcissent
de plus en plus et la violence a habituellement eu une forte tendance
à y remplacer l’esthétique. Et de ces contextes
l’humain sort en général blessé et privé
de ses moyens de dialogue et de création collective. Mais toujours
de nouvelles possibilités surgissent qui témoignent
de cette créativité où l’humain dépasse
toujours les limites destinées à l’éteindre
avec les civilisations où il se manifeste.
Désormais la pandémie qui traverse la planète
ne fait pas que dramatiser ce contexte de contradiction globalisation-mondialisation
qui marque tout autant la fin d’une époque qu’elle
sous-entend le début d’une autre, elle donne à
ce hors-temps qui nous traverse une dimension nouvelle et tragique
en rompant dans toutes les sociétés les structures du
lien social qui camouflaient cette contradiction. C’est peut-être
la première fois de l’histoire connue que l’humanité
comme telle et non simplement quelques continents ou régions
du globe ait à faire face sous cette forme globale à
une rupture du lien social et à devoir inventer dans un court
laps de temps des solutions qui suppléent pour l’ensemble
des humains un si manifeste défaut des structures du lien social.
Nous sommes ainsi au cœur d’une conjoncture globale touchant
l’humanité dans son ensemble, comme c’est déjà
le cas en ce qui concerne le réchauffement global et nous en
restons à la recherche de stratégies régionales,
voire locales, comme si de telles solutions étaient encore
possibles dans le cadre de la globalisation et dans le contexte de
mondialisation où nous sommes plongés. La formule du
"Rien ne sera plus comme avant" qui marquait déjà
la crise de 2008 prend désormais une dimension et un sens qui
nous échappent encore plus. Nous n’avons pas encore réalisé
qu’à défaut du lien social mis en pause par la
pandémie, nous sommes dans un non-lieu où l’espace-temps
des voies de solutions d’avant n’existe plus, comme suggère
la physique quantique. Ce qui était encore possible dans l’espace
de la globalisation grâce au contrôle des structures du
lien social se révèle hors-temps dans les conflits de
civilisations et de cultures où nos sociétés
s’enfoncent. L’élection américaine n’en
est qu’un mince mais fort important exemple et ce à l’échelle
planétaire.
Il n’est pas possible de penser un "à venir"
pour un collectif en dehors du lien social et encore moins en dehors
d’un lien entre l’ensemble des collectifs compte tenu
des problématiques et conjonctures historiques où se
trouve l’humanité aujourd’hui. Alors la question
décisive qui se pose désormais est celle de l’humain
comme tel. Jusqu’ici tout fonctionne comme si cette question
en était une réservée à l’autonomie
de chaque civilisation comme en témoigne la mondialisation
où les civilisations s’affrontent autour des enjeux décidés
par chacune en ce qui concerne l’humain. Ainsi des civilisations
axées sur la gestion de l’économie et sur le succès
de l’ego dans un lien social contrôlé par cette
gestion économique sont en perte de pertinence en regard de
ce qui est en jeu aujourd’hui pour l’humanité.
Il n’empêche qu’à l’égard des
autres, ces civilisations sont dans une posture de colonisation tant
au niveau de la production du savoir qu’au niveau de la gestion
et du contrôle des structures du lien social pour tout ce qui
concerne la définition de l’humain.
Nos cinq rencontres de discussions de 2020-2021 vont donc se concentrer
sur les enjeux collectifs d’un tel contexte et leurs conséquences
pour les individus dans une conjoncture où plus que jamais
l’humain, comme tel, fait question.
Willy Apollon