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Débat


 


Qui a peur de la psychanalyse?
Willy Apollon

Comment penser une évaluation d'un traitement psychanalytique des psychoses
Lucie Cantin

 

Qui a peur de la psychanalyse?

Willy Apollon
Santé mentale au Québec (2005), vol. 30, n° 1 : 165-182.

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C’est à partir de telles considérations que nous posons qu’au-delà des fausses oppositions idéologiques de la science et de la clinique auxquelles nous sommes étrangers par nos pratiques mêmes, il ne faut pas perdre de vue que l’essentiel, c’est d’abord et avant tout la santé mentale et le bien-être de patients qui figurent statistiquement dans la portion de nos concitoyens les plus démunis et les plus délaissés. Et pourtant ces patients souffrent de problèmes mentaux qui touchent toutes les classes sociales, sans être arrêtés par aucune des barrières idéologiques, économiques et politiques qui sont sensées protéger les intérêts de ces classes. Et nous ne pouvons continuer à faire comme si la science n’était pas au service de la clinique, et la clinique au service du bien-être et de la santé des patients. L’inverse n’est pas recevable, du moins au Québec, dans un système de santé public, n’en déplaise à certains milieux de la recherche soumis aux impératifs de la commercialisation de la santé. Il est évident que la recherche scientifique est fondamentale et incontournable dans le développement de la clinique, mais pour des raisons socioéconomiques, de morale sociale et d’éthique subjective tout aussi évidentes, on ne peut ni les confondre dans une fausse unité, ni faire dépendre sans plus le clinique du scientifique. Mais c’est là un faux problème, les vrais enjeux sont ailleurs. À la limite notre insistance sur la clinique peut rater la cible si elle provoque un faux débat qui scotomise les vrais enjeux. Nous avons peut-être échoué à poser clairement dans l’argument qu’une psychiatrie qui ne met pas au cœur de ses préoccupations des résultats dans la poursuite du bien-être et de la santé des patients est une psychiatrie pour les psychiatres et les institutions et non une psychiatrie pour les patients. D’autres collègues de France ou du Québec, dans cet ensemble de textes, auront réussi heureusement mieux que l’argument à porter l’accent sur ce point crucial. L’avenir de la psychiatrie est uniquement lié à ce qu’elle apportera de positif pour l’évolution des patients à devenir des citoyens responsables, suffisamment autonomes pour être les acteurs principaux et les décideurs de leurs vies et de leurs histoires, et qui participent socialement. En dehors de là, la psychiatrie n’a aucun avenir qui puisse intéresser des non psychiatres.

Une problématique de perdant

La psychiatrie au Québec est à la croisée des chemins. L’avenir la rattrape. Elle doit choisir entre les patients en détresse et les institutions qui participent de la crise globale et qui exigent de la psychiatrie qu’elle corrige dans les subjectivités les effets désastreux des conséquences de leurs entreprises. Si elle ne choisit pas les patients elle fait une politique de perdant, entraînant avec elle les patients et leurs proches dans une impasse garantie par des promesses de guérison par la génétique ou de nouvelles cellules miracles, promesses sans cesse renouvelées mais jamais au rendez-vous. La psychiatrie doit se rendre compte à quel point elle est à la fois victime et bouc émissaire de cette crise globale. Choisir entre les patients et les institutions, c’est d’abord savoir reconnaître les liens profonds historiques, sociaux et surtout aujourd’hui économiques et politiques qui nouent les institutions entre elles dans la crise globale d’éthique sociale que nous traversons en occident. Choisir entre les patients et les institutions, c’est aussi se rendre compte et prendre position par rapport aux liens structuraux de fait, donc non intentionnellement voulus par les individus, qui relient les pratiques professionnelles des psychiatres à une commercialisation de la santé mentale, dans un contexte d’abus intellectuel dans certain milieu de la recherche. C’est au psychiatre, en tant que médecin, que revient la responsabilité morale et politique de justifier auprès de son patient le lien entre le traitement et ses effets positifs ou négatifs. Mais ce ne sont pas les médecins qui produisent et qui payent les médicaments qui ont pris la place du traitement véritable, ce sont les compagnies et l’État. Les citoyens investissent leurs économies dans la production des médicaments, dont ils attendent des profits. Au Québec, apparemment l’essentiel de la formation des psychiatres est assurée par des chercheurs et enseignants engagés par les compagnies, qui de plus en plus créent des chaires d’enseignement et de recherche dans les Universités. Nous assistons à une prise de contrôle progressive du savoir et de l’organisation de la recherche par les compagnies, dans les domaines les plus rentables de la santé, sans que les institutions ni l’État semblent prêts à publiquement engager le débat éthique de ce que la population trouve souhaitable dans cette guerre de basse intensité en vue du contrôle du champ de la santé.

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