>[Retour aux Activités 2009-2010]


>[Fil de discussion]

>[Nos actualités]

>[Carnets de lecture]

>[Débat]

>[Courrier]

>[Liens]

>[Archives]


Débat


 


Qui a peur de la psychanalyse?
Willy Apollon

Comment penser une évaluation d'un traitement psychanalytique des psychoses
Lucie Cantin

 

Comment penser une évaluation
d'un traitement psychanalytique des psychoses

Lucie Cantin
La cure psychanalytique du psychotique. Enjeux et stratégies (2008), Éditions Giifric, Québec : 87-120.

page 1 | page 2 | page 3 | page 4 | page 5 | page 6 | page 7
page 8 | page 9 | page 10 | page 11 | page 12 | page 13 | page 14


Le contexte de l’évaluation

En mai 2002, l’État québécois demandait une évaluation du Centre psychanalytique de traitement pour psychotiques : Le «388». Le contexte qui avait donné naissance à cette décision était politique et non clinique. Le Centre était en effet soudainement menacé de fermeture pour des raisons officiellement financières et administratives évoquées par la nouvelle direction de l’hôpital qui depuis sa création en 1982, en assurait le financement, dans le cadre d’une entente contractuelle avec le GIFRIC, promoteur et réalisateur du programme. Le caractère labile et le manque de cohérence des arguments administratifs invoqués ont fini par faire surgir au-devant de la scène les motifs idéologiques de la décision, polarisant dès lors le débat autour de l’approche psychanalytique qui soutient la clinique du «388». La décision « administrative » apparaissait en effet nourrie par les tenants d’une approche biologique de la psychose. La psychanalyse, désormais présentée comme obsolète depuis l’avènement des avancées de la psychiatrie biologique et des neurosciences, devenait selon la littérature citée, non seulement inefficace, mais potentiellement dangereuse dans le traitement des schizophrènes. Une vive et tenace opposition à cette décision de fermeture s’est alors organisée. Un ensemble de professionnels du Québec et de l’étranger se sont joints aux usagers du «388» et à leurs proches dans une mobilisation générale donnant lieu à une série d’interventions auprès du ministre de la Santé et des autorités gouvernementales impliquées : lettres provenant du Québec, d’Europe et des États-Unis où certaines équipes sont à importer le modèle de traitement, rencontres des autorités publiques concernées, manifestations des usagers eux-mêmes dans les bureaux du ministère... Finalement, pour mettre fin à la controverse, le ministère de la Santé décidait de confier à une équipe d’experts externes le soin de trancher en réalisant une évaluation dont les résultats allaient décider de l’avenir du Centre.

L’État, en tant que responsable des soins de santé, est aussi responsable de les évaluer pour en garantir la qualité face au public. Mais c’est aussi le rôle de l’État d’assurer aux citoyens le respect de leur droit de choisir un mode particulier de traitement, en empêchant un groupe, quel qu’il soit, de contrôler l’ensemble des services. Dans le traitement de la psychose, du moins en Amérique du Nord, la psychiatrie biologique avec le support des neurosciences tente ainsi de prendre le contrôle des services publics. La psychose, désormais assimilée à une maladie d’origine biologique (maladie du cerveau, trouble neurochimique, désordre génétique, etc.) est traitée comme telle, et ce d’une part, en l’absence de tout consensus quant à ses causes qui demeurent encore indémontrables sur le plan scientifique et d’autre part, sans obligation de résultats ni réelle évaluation d’efficacité clinique. Bien que reconnaissant officiellement et généralement les dimensions bio-psycho-sociales touchées par la psychose, cette psychiatrie se consacre désormais essentiellement à l’évaluation diagnostique et au traitement psychopharmacologique de la psychose, abandonnant le « traitement psychique » aux thérapies cognitivo-comportementales issues des avancées des neurosciences et le « social » aux thérapies de réadaptation visant l’apprentissage ou l’amélioration des habiletés sociales devenues nécessaires pour le maintien du psychotique dans la communauté où il doit être «réinséré». Le psychotique en fait devient l’objet d’une violence inhérente à la visée de rectitude qui sous-tend l’intervention à son endroit. Rectification du dysfonctionnement du cerveau par une médication qui devient une polypharmacie, ciblant distinctement chacun des symptômes présentés ; orthopédie du psychisme par les thérapies cognitivo-comportementales qui visent «l’amélioration des stratégies d’adaptation» (Chadwick et al., 2003 : 134), le traitement du délire et de l’hallucination par une «correction de la croyance et de l’interprétation erronés à la lumière des faits de la réalité» et l’apprentissage de moyens pour savoir «comment ne pas succomber aux voix» (idem : 131) ; et finalement, programmes de suivi dans la communauté axés sur le contrôle quotidien de la prise de médicaments supposés assurer l’absence de rechutes (avec, pour l’intervenant qui visite le patient à domicile, la consigne de ne pas trop faire parler ce dernier pour ne pas provoquer l’angoisse et le stress qui le déstabiliseraient). Bref, un type de traitement qui évacue le sujet, sa parole, sa dignité, sa responsabilité, sa liberté et ses choix éthiques et qui est posé comme la norme définie par les dernières découvertes ou promesses de découvertes scientifiques sur l’origine de la psychose. Comme s’il était implicitement admis qu’il ne sert à rien de perdre son temps en offrant aux psychotiques des services de psychothérapie, désormais réservés aux personnes souffrant de maladies plus nobles comme les troubles anxieux, les troubles de l’humeur ou la dépression. Et comme si, sur le terrain de la psychose, un consensus tacite était établi : il suffit de travailler à assurer aux psychotiques de meilleures conditions de vie en attendant de la science la solution au trouble d’origine biologique dont ils sont atteints.

[Page précédente]

[Page suivante]


Groupe interdisciplinaire freudien de recherche et d'intervention clinique et culturelle

342, boul. René-Lévesque ouest,Québec, Qc, Canada,G1S 1R9