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Débat


 


Qui a peur de la psychanalyse?
Willy Apollon

Comment penser une évaluation d'un traitement psychanalytique des psychoses
Lucie Cantin

 

Comment penser une évaluation
d'un traitement psychanalytique des psychoses

Lucie Cantin
La cure psychanalytique du psychotique. Enjeux et stratégies (2008), Éditions Giifric, Québec : 87-120.

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Une démarche évaluative qui n’exclurait pas le sujet

En désertant de plus en plus le terrain du traitement psychique qu’elle occupait autrefois et qui en constituait sa raison d’être face aux autres spécialités médicales, la psychiatrie s’est aussi accolée aux méthodes d’évaluation issues des sciences exactes. La psychose, dont la définition est désormais ramenée à la description d’un ensemble de symptômes issus d’un dysfonctionnement biologique dont la cause reste à préciser (cause encore strictement inconnue du point de vue des chercheurs les plus sérieux), s’est vue du coup enfermée dans une perspective restreinte au traitement de sa symptomatologie. Dans ce contexte, il est devenu tout à fait possible d’évaluer les effets d’un traitement en mettant entre parenthèses le sujet et sa parole. Les méthodes d’évaluation des troubles psychiques et de leur traitement se veulent «objectives», répondant aux critères d’une méthodologie expérimentale dont la rigueur se mesure précisément à l’évacuation des biais que pourrait introduire le sujet en cause : évaluations objectives des troubles de la pensée, de la mémoire, de l’attention, imagerie cérébrale, tests psychométriques et neuropsychologiques de toutes sortes, qui sont pourtant autant de précieux outils pour nous permettre de prendre la mesure d’une symptomatologie à la condition de ne pas prendre l’effet pour la cause ni de confondre le constat de corrélations avec une relation de cause à effet.

Du point de vue du sujet psychotique, la symptomatologie qu’il présente est en quelque sorte «secondaire». Apragmatisme, désinvestissement de la «réalité» et du lien social, troubles de concentration, sont autant de conséquences liées à une expérience subjective radicale et intime qui devient désormais le centre de ses préoccupations. Ce n’est pas que le psychotique soit incapable de participation sociale ou d’assumer la responsabilité des tâches de la vie quotidienne, c’est qu’il s’en désintéresse totalement parce que tout entier investi dans sa propre entreprise. Tout le reste devient « secondaire », perte de temps ou obstacle à son travail.

Le psychanalyste qui se met à l’écoute du psychotique aura ainsi accès à la logique de cette expérience singulière que le psychotique travaille à expliciter, à justifier et à solutionner dans la construction d’un délire dont les enjeux sont forcément eux aussi singuliers. La psychanalyse ne peut pas se borner à mesurer les effets de cette expérience psychique dans les symptômes, inhibitions et dysfonctionnements qu’elle engendre. Dire que le délire et l’hallucination sont des symptômes typiques de la psychose laissent entier le problème de leur contenu qui, lui n’est pas généralisable. Or, sans l’analyse de ce contenu, toute prétention de traitement de la psychose est vaine. La cure analytique du psychotique établira elle, les liens logiques et de structure que la construction délirante entretient avec les événements traumatiques et fantasmatiques de l’histoire subjective, tels qu’ils seront élaborés et reconstruits à l’aide du travail du rêve. La symptomatologie psychotique devient ainsi liée dans son contenu et dans sa forme à une réalité psychique que seule la parole du sujet peut révéler. Le traitement dès lors se situe sur un tout autre terrain. Il ne peut se contenter de viser la «correction de l’interprétation délirante à la lumière des faits de la réalité» qui est en fait la réalité sociale du soignant ou la réadaptation à cette réalité sous toutes ses formes. La cure analytique vise plutôt le changement de position du sujet à partir du réaménagement complet de la solution psychique qu’il avait construite dans son délire. Qu’à partir de là, des évaluations objectives viennent confirmer ces changements en en mesurant les conséquences sur les symptômes généralement associés à la psychose, voilà qui pourrait être particulièrement intéressant et instructif. La psychanalyse aurait tort de reculer devant de tels défis.

L’objectivité des différentes méthodes évaluatives ne peut pas se mesurer à la machinerie instrumentale employée pas plus qu’on ne peut faire d’une méthodologie «expérimentale» une démarche nécessairement scientifique qui se reconnaîtrait plutôt, elle, à sa rigueur logique et à la pertinence du choix de sa méthode en regard de l’objet à mesurer. Or, dans le traitement psychique, la prise en compte de la position spécifique du sujet au delà de toute généralisation possible devient incontournable. Elle ne peut pas être recouverte par l’évaluation par un tiers observateur de la phénoménologie à laquelle elle donne lieu.

Dans le champ de la psychanalyse où la parole du sujet est centrale, une démarche rigoureuse s’impose quand nous voulons mesurer les effets du traitement. Même si, par « l’Observatoire clinique » du GIFRIC, nous menons au «388» des évaluations continues sur des critères tels que la diminution des hospitalisations, de la médication neuroleptique et les changements repérés dans le mode de vie et de participation sociale, de telles recherches ne peuvent suffire pour nous. L’évaluation du traitement psychanalytique ne saurait en effet se contenter de faire état de résultats sans rendre compte des actes qui les ont engendrés, de la logique qui articule ces changements les uns aux autres en regard de la position du sujet et des conditions et moyens qui les ont rendus possibles et prévisibles. À cet égard, la psychanalyse a des exigences que sont loin de pouvoir atteindre la psychiatrie biologique et les neurosciences.
 

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