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Après
La différence sexuelle au risque de la parenté
(1997) et L'Universel, perspectives psychanalytique (1997),
La Collection "Le Savoir analytique" propose ce
nouveau recueil de Conférences et écrits
de Willy Apollon, cette fois sur la psychose. Rédigés
entre 1983 et 1988, les textes qui composent cet ouvrage sont
déterminants. Ils marquent un moment spécifique
dans le développement d'une approche théorique
inédite sur la question de la psychose. Quinze ans
après leur élaboration, nous y retrouvons déjà
établis les grands principes et orientations qui fonderont
et inaugureront une véritable clinique analytique de
la psychose et rendront possible en1982 la création
du Centre psychanalytique de traitement pour psychotiques,
le "388".
Le
titre du recueil pose d'emblée la question qui aura
été à l'origine du travail de Willy Apollon
dans le champ de la psychose. Que peut offrir la psychanalyse
(et le psychanalyste) au psychotique? Comment relever le défi
freudien de constituer la psychanalyse comme un Savoir universel
concernant l'humain, qui ne saurait donc exclure le sujet
dans la psychose? Freud n'a pas omis de soumettre l'univers
psychotique à son désir de savoir. Plusieurs
de ses travaux en témoignent. Mais il a buté
sur la clinique. Il a pensé que le traitement psychanalytique
était impossible avec le psychotique entre autres à
cause du transfert qui ne pouvait s'installer. Coupé
ainsi de la possibilité de l'expérience, qui
a toujours constitué chez Freud le lieu d'émergence
et de mise à l'épreuve de ses avancées
théoriques les plus audacieuses comme des remaniements
les plus profonds de sa pensée, son abord de la question
de la psychose s'est trouvé réduit à
quelques hypothèses non vérifiées.
Plusieurs
grands psychanalystes ont tenté de relever le défi
mais, parmi eux, Lacan s'est démarqué en proposant
une perspective nouvelle. Il revient à Lacan d'avoir
fait de la psychose une structure psychique déterminée
par une forclusion du Nom-du-Père. Cette approche structurale
de la psychose a permis d'établir sa spécificité
et de délimiter ses frontières claires par rapport
au champ de la névrose, rendant impossible le glissement
d'une structure à une autre sur la base de l'aggravation
d'une symptomatologie. Avec une telle conception, Lacan introduisait
en conséquence une relecture des phénomènes
psychotiques (délire, hallucinations, voix, position
du psychotique comme objet de la jouissance de l'Autre, etc.).
Mais si c'est à Lacan que revient le mérite
d'avoir ainsi ouvert le champ du savoir analytique pour y
faire entrer la psychose comme un problème fondamentalement
humain qui ne saurait donc être exclu d'un "traitement
analytique possible", il faut aussi reconnaître
qu'il est resté dans une perspective de compréhension
et d'interprétation de la psychose et n'a rien laissé
comme stratégie possible de la cure.
Tout
en restant tributaire des avancées de Freud et de Lacan,
l'approche théorique et clinique développée
par Apollon tient son originalité, son ingéniosité
et sa force, d'avoir fait apparaître ce qui faisait
l'impasse du traitement de la psychose: il fallait sortir
d'une conception déficitaire de la psychose où
le point de référence demeurait la névrose
posée comme "normalité", conception
qui faisait du psychotique un sujet à qui il manquait
quelque chose d'essentiel, le Nom-du-Père et le refoulement
qu'il permet. Sur un tel terrain en effet, le traitement ne
pouvait être qu'une application du savoir analytique
à la psychose visant une stabilisation du délire
ou au mieux la constitution d'une suppléance au Nom-du-Père
puisque faisait défaut, chez le psychotique, cela même
qui lui aurait permis d'avoir accès à une position
de sujet désirant, capable de travailler à constituer
un savoir issu d'une expérience de l'inconscient guidée
sous transfert.
Par
ce changement radical de perspective, Apollon revenait à
la position fondamentale de l'analyse, comme Freud devant
les hystériques du début du siècle. Sans
le préjugé du savoir établi dans le champ
de la névrose, il fallait entrer dans l'expérience
du psychotique pour en découvrir la structure et la
logique internes propres. Or, le psychotique, une fois placé
en position de sujet d'une parole possible, fait état
d'un savoir quant à une confrontation directe à
ce que Apollon a désigné comme le Défaut
ou le trou dans l'Autre, expérience qui détermine
et structure chez lui un "travail spontané"
dont la crise signerait l'échec. Le sujet psychosé,
dans son délire, fait la théorie de cette expérience
qu'il solutionne en se proposant comme l'élu investi
d'une mission de réparation de ce Défaut fondamental.
Le bouleversement de la perspective théorique tenait
à ceci: l'expérience dont faisait état
le psychotique permet de revenir à ce qui est au coeur
des fondements de la constitution du sujet humain et des effets
du langage et de la parole, révélant un rapport
direct à ce que précisément la névrose
a pour fonction d'occulter avec le mythe du Père et
les promesses qu'il soutient. Ce n'est pas dans son savoir
quant au Défaut de l'Autre que le psychotique fait
erreur. Il dévoile plutôt ainsi l'objet du travail
du refoulement et d'oubli à quoi se consacre le névrosé
avec le Nom-du-Père. Là où il se trompe
c'est plutôt dans l'illusion de pouvoir réparer
le Défaut qui est à la source même de
la constitution du sujet humain.
La
décision clinique aura alors été de prendre
appui sur la créativité interne à cette
expérience fondamentale plutôt de la contrer.
Il fallait inventer une stratégie de traitement qui
vise à miser sur ce travail qui mobilisait déjà
le psychotique, en le contraignant à produire un savoir
qui lui permette de confronter le Défaut de l'Autre
sans la suppléance du délire.
Les
quinze années de clinique des psychoses qui se sont
écoulées depuis l'écriture des textes
publiés ici ont vu se développer une conception
inédite de la psychose et de la logique de son traitement
(cf Traiter la psychose, dans la Collection Noeud).
Des perspectives théoriques nouvelles et des déplacements
majeurs d'accent dans la façon d'aborder les concepts
fondamentaux de la psychanalyse ont permis de penser puis
de créer les conditions qui rendent possible le déclenchement
de l'expérience analytique avec le psychosé.
Il aura fallu par exemple inventer un dispositif de traitement
qui produise un champ analytique spécifique pour les
psychotiques; repenser la fonction de la crise, son accueil,
les conditions de son évolution au cours du traitement;
distinguer le traitement et la cure; reconsidérer la
question du transfert et les stratégies de sa mise
en place; mettre en lumière la fonction et le travail
du rêve dans la cure et la spécificité
de son action dans les conditions qui président à
l'entrée du psychosé dans le désir de
savoir; établir à la lumière de l'expérience,
la logique de la cure, ses points de butée, son terme,
comme distincts de ceux de la névrose; etc.
L'apport
décisif de toutes ces avancées a été
de lever le préjugé implicite qui hypothéquait
la psychanalyse dans son rapport avec la psychose en rendant
possible pour la première fois la cure analytique avec
le psychotique. En effet, non seulement le psychosé
est-il appelé, en position de sujet d'une parole, à
témoigner d,une expérience singulière,
non réductible à celle du névrosé,
mais il peut "faire une psychanalyse", c'est-à-dire
entrer dans le transfert et, en position d'analysant et grâce
à l'éthique singulière qui le caractérise,
porter le désir de savoir qui conduit l'expérience
analytique jusqu'à son terme logique.
La
clinique de la psychose et les développements théoriques
qu'elle a suscités ont initié plusieurs grands
bouleversements dans la pensée de Willy Apollon, comme
ils ont été l'occasion de confirmer la portée
théorique et l'efficacité clinique de certaines
avancées déjà en élaboration dès
la fin des années soixante-dix. Nous pensons ici à
des concepts tels que l'Absence de l'Autre, l'Infondé,
aux nouvelles perspectives développées sur la
question du langage comme Structure d'adresse surdéterminée
par la place vide de l'Autre et aux développements
apportés à la théorie sur la question
du corps, de la lettre, de la jouissance
comme effet de l'Absence dans le vivant, qui ont permis
une approche nouvelle de la perversion et des questions relatives
à la féminité et ont été
déterminants dans la clinique du symptôme et
dans la reconsidération de la logique de l'expérience
analytique et de son terme dans la cure du névrosé.
Dans
ce va-et-vient perpétuel entre théorie et clinique,
Willly Apollon témoigne de sa position essentiellement
freudienne. La théorie analytique est une théorie
du savoir qui prend à témoin le réel
de l'expérience tout en étant contrainte à
une rigueur qui rivalise avec celle de la science et en assure
sa transmissibilité. Le développement théorique
marqué par cette ouverture au réel de l'expérience
qui le traverse, l'interroge, le guide et le vérifie,
ne sort jamais en effet du champ de la psychanalyse et de
son objet. La production du savoir est issue de l'expérience
et jamais de l'inter-texte. C'est sans doute ce qui fait la
force et l'autorité de sa pensée qui, pourtant
sans concessions théoriques, n'en produit pas moins
chez le clinicien, le non spécialiste ou l'intellectuel,
ce même effet de vérité où se reconnaît
que c'est du lieu du savoir de l'Autre en eux que chacun est
appelé à entendre. |