Principes
Il
s’agit d’un lieu qui regroupe des gens pris par le désir
d’écrire des textes de fiction.
On
entend ici par texte de fiction, un texte dont le marquage stylistique
indique que sa vérité ne tient pas à une prétendue
coïncidence avec un quelconque réel, mais bien plutôt
à sa propre force de conviction et à une cohérence
interne.
Ce
texte est apporté à la Clinique à partir du
désir de son auteur d’entendre la lecture qu’en
ont faite les autres, ainsi que leurs commentaires.
Au
cours des rencontres, il est question, chaque fois, d’un
texte en travail issu de l’un ou l’autre des participants.
Autrement dit, il ne s’agit pas d’un « salon
littéraire ». Le travail ne porte pas sur les textes
d’auteurs morts (qui ne pourraient pas répondre)
ni sur les textes d’autres (pour la même raison),
mais sur les textes des participants, des textes à publier,
à partir de leur désir d’en entendre parler.
Cette
parole tenue sur le texte ne se réclame d’aucune
autorité ni d’aucun droit. Elle trouve son origine
simplement dans le fait que son signataire désire qu’on
en parle depuis le lieu de cette singularité propre à
chacun
L’attitude
qui est développée à la Clinique est aussi
étrangère que possible à la « congratulation
» narcissique (et à ses contraires) ; autrement dit,
elle se distingue de ce qui est mieux connu sous l’appellation
de « salon littéraire ». Par contre, cette
confrontation intersubjective se doit de mener le plus loin possible
un texte (non pas un auteur!) dont l’avenir et la carrière
incombent entièrement à son auteur, justement.
Fonctionnement
Chapeautée
par le Gifric, la Clinique est ouverte à des non-membres
du Gifric tout autant qu’à ses membres.
Il
est souhaitable que ce groupe ne soit pas composé d’un
nombre excédant sept, les conditions matérielles
et le fonctionnement général supposant un échange
de chacun à chacun.
Pour
qu’un nouveau participant soit admis à la Clinique,
il doit présenter sa candidature et l’ensemble du
groupe se prononce sur la pertinence de sa participation
La
périodicité habituelle des rencontres est d’une
fois aux trois semaines.
Deux
ordres de questions
La
Clinique d'écriture a ceci de particulier qu'elle porte sur
des textes de fiction qui sont également des textes littéraires.
Par conséquent, les réflexions qu'amène son
fonctionnement se placent sur deux plans différents :
Ce
deuxième point n'est pas propre à la Clinique, mais
se trouve partagé par tous ceux qui sont pris par le désir
d'écrire de la fiction (ou simplement curieux).
Seulement,
les réflexions concernant la Clinique nous sont particulières.
Écrire
de la fiction
On
pense ici à des questions du type :
Ces
questions, disions-nous, peuvent provenir d’autres lieux
que le nôtre, lorsque des gens qui ne pratiquent pas ce
genre d'écriture nous interrogent à ce sujet.
Elles
peuvent surgir également au moment où un écrivain
se retrouve « en panne ».
Toutefois,
signalons qu'un écrivain, au moment où il est pris
par ses textes de fiction, se pose rarement ce type de questions.
L’écrivain
en panne
Revenons
à l'écrivain « en panne ». À
ce moment-là, s'il s'interroge, c'est plutôt pour
tenter d'identifier ce qui, dans les conditions de sa pratique,
fait actuellement défaut qui fonctionnait auparavant ou
encore, ce qui, en lui, l'empêche d'écrire.
Ces
questions font l'objet de réflexions en cours qui devraient
sous peu mener à des publications.
Ce
genre de questions surgit également lorsque les participants
de la Clinique se demandent depuis quel lieu ils peuvent intervenir
dans les textes des autres. Ici, l'intervention ne fait pas l'économie
de l'expérience du processus.
Intervenir
dans un texte
Les
interventions à la Clinique supposent que celui qui parle
le fasse du lieu de son expérience de lecteur, d'auteur (de
textes) sinon d'écrivain et de membre de la Clinique, en
tenant compte de l'ensemble du trajet d'un texte depuis le premier
jet jusqu'à la réception publique.
Intervenir,
c'est situer le texte dans ce trajet, dans la visée de
l'autonomie du texte et en rapport avec l'actualité de
la publication.
C'est
imaginer les moyens par lesquels ce texte manifestera sa singularité
tout en lui ménageant un côté recevable par
rapport à ce qui se fait présentement. C'est lui
enlever ses aspects accessoires ou redondants, accentuer sa couleur
esthétique et rhétorique dans le style déjà
annoncé dans sa version actuelle. Cela consiste également
à prévoir et à parer un certain nombre de
positions critiques qui pourraient l'invalider ou contrer sa carrière
(celle du texte, non pas celle de l’auteur), sans pour autant
le dénaturer.
C'est
enfin lui enlever tout élément inutilement provocateur
ou perturbateur afin d'affiner et de relever, le cas échéant,
ce qu'il comporte de provocateur ou de perturbateur, justement.
C'est
aussi revoir certaines stratégies récurrentes qui,
chez un auteur, relèvent de tics d'écriture ou d'une
volonté de produire à tout prix du « beau
», même si pour cela, le texte est truffé d'expressions
vides, de formulations inutilement rares, de passages qui témoignent
davantage du raffinement de l'auteur plutôt que de celui
du texte.
Tout
peut se faire, tout peut s'écrire, mais pas n'importe quand
ni n'importe comment ; le baroque lui-même calcule ses effets.
La
Clinique, un lieu invisible
La
Clinique comme telle constitue un lieu invisible, ayant son fonctionnement,
sa dynamique et sa pérennité. Le centre de ce lieu
est constitué par un texte : celui qui nous est soumis
cette fois-ci.
Bien
sûr, ce texte est issu de quelqu'un et d'un désir.
Mais l'éclairage est axé essentiellement sur le
texte qui occupera le centre de la discussion, faisant l'économie
d'arguments ou de référents biographiques qui, sous
prétexte de cautionner la vraisemblance ou la pertinence
du texte, ne serviraient en fait qu'à en masquer l'autonomie
actuelle.
La
question qui se pose fondamentalement pour les participants, en
présence de ce texte, est la suivante : comment peut-il
être à son meilleur pour rejoindre son public? Comme
il s'agit d'un texte littéraire et d'un texte de fiction,
cela suppose que les remarques ou les propositions de corrections
qu'il appellera seront de trois ordres : la narration (s'il s'agit
d'un texte narratif), l'esthétique et la rhétorique,
et ce, dans une perspective actuelle liée à la publication.
C'est
donc à l'avenir de ce texte que s'intéressent les
participants, non pas à l'avenir de son auteur, encore
moins à son passé.
Le
texte et la position subjective de l’auteur
Dans
cette perspective, chacun des membres se trouve dans un position
subjective comme lecteur par rapport au texte, et comme auteur
par rapport au signataire du texte, dans une position «
d'autre » suscitée par ce texte-là, cette
fois-là. Ce texte constitue le point de convergence des
efforts de chacun, réactivant le désir de l'écrivain
(qu'il y ait écriture).
L'objet
produit par la Clinique
Ce
que la Clinique produit, c'est une « façon de travailler
», un discours sur les textes dont les effets dépassent
le cadre restreint des rencontres, pour ressurgir au moment de
l'écriture d'autres textes, chez le même auteur ou
chez les autres, aussi bien, sous la forme d'un travail du texte
qui tient compte des avancées faites par la Clinique. C'est
en ce sens que la Clinique constitue un lieu invisible qui dépasse
la durée des rencontres, voire même l'époque
actuelle des réunions.
En
effet, les remarques passées, y compris celles d'anciens
participants [présents encore dans le discours des autres]
ayant quitté la Clinique, sur des textes antérieurs,
auront des effets sur les autres, sur les textes des autres, et
le type de travail particulier à un des membres sera repris
par l’un ou l’autre, dans la solitude de son geste.
Ainsi, la Clinique produit un discours qui réactive une
mémoire tout en évoluant.
Cette
évolution peut se constater sur au moins deux plans. D'une
part, la Clinique a créé un climat de confiance
(en la Clinique) qui fait que les résistances de l'auteur
aux propositions des autres sont de moins en moins importantes
au fur et à mesure qu'il persiste à la Clinique.
D'autre part, tout en manifestant une implication indéniable
lors des rencontres, les participants avouent qu'ils arrivent
à ces rencontres moins « préparés à
l'excès », comme si auparavant, on tenait absolument
à « vendre » son point de vue… alors
qu'à présent la circulation des remarques se fait
plus fluide.
L'auteur
désapproprié
Dans
ce processus, l'auteur, peu importe de qui il s'agit, aura l'impression
d'être désapproprié de son texte puisque, soumis
au regard des autres, celui-ci appellera des lectures et des remarques
que son auteur n'avait pas imaginées et qui, quelquefois,
lui apparaîtront comme étrangères à ce
qu'il a « voulu dire », bien qu'il ne puisse remettre
en cause la bonne foi des autres. C'est pourtant cette activité
même qu'il sollicitait lorsqu'il soumettait son texte. La
« réponse » à cette « demande »
le laisse donc désemparé, seul, et malgré tout
seul signataire de son texte. C'est la limite que s'est posée
la Clinique ; jamais le travail fait lors des rencontres n'est «
vérifié » par les autres à l'occasion
d'une publication ultérieure.
Et
pourtant, ce n'est pas faute d'occasions, puisque la quasi-totalité
des textes soumis à la Clinique ont été ou
seront publiés.
De
plus, lors des réunions, aucune décision quant au
texte n'est prise; la Clinique laisse l'auteur seul face à
son texte et à la responsabilité qui lui incombe,
le signer et en répondre.
Voilà
ce qui constitue l’essentiel de la Clinique d’écriture
de fiction du Gifric.