Une
École pour la psychanalyse
Willy
Apollon
pour le Conseil d'éthique de l'École freudienne du
Québec
Partout
où la psychanalyse doit s’implanter comme pratique
clinique s’impose la question de l’institution et de
la politique institutionnelle qui en garantissent l’éthique
et les pratiques théoriques et cliniques. C’est que
la clinique psychanalytique n’est pas l’application
d’un corpus de connaissances. Elle suppose la mise en œuvre
d’une éthique qui régisse son acte au-delà
des principes qui lieraient cet acte à un ensemble théorique.
La psychanalyse en effet n’agit pas sur la structure d’un
organe, d’un tissu, d’un système ou d’une
fonction physiologique voire même d’un mécanisme
psychique. Son action ne vise pas non plus la structure du lien
social pour y apporter quelque correction adaptative ou réparatrice
pour le sujet dans son rapport aux autres et avec le monde. Pour
toutes ces actions, la médecine, la psychiatrie ou la psychologie
ont leurs compétences propres, spécifiques que la
psychanalyse ne remplace pas.
La
psychanalyse interpelle le sujet dans son rapport au sens et au
non sens de sa vie, son rapport à la jouissance et à
la mort, à travers la maladie, le sexe, le désespoir,
l’impasse totale, l’angoisse paralysante et le sentiment
de fin du monde. Ce genre de questionnement fondamental d’un
être sur lui-même, sa vie, son échec et la mort,
n’est pas du ressort de ce que peuvent offrir des savoirs
accumulés et applicables à tous et à chacun,
comme ce à quoi préparent les universités.
La psychanalyse exige un autre savoir, capable de fonder une éthique
qui supporte la confrontation du sujet à la jouissance et
à la mort et leurs conséquences. Aussi, la psychanalyse
est-elle le développement d’une expérience singulière
faisant appel au sujet et mobilisant toutes ses ressources intimes
pour résoudre ses problèmes, plutôt que l’application
de savoirs accumulés à un objet à corriger
ou à adapter aux changements sociaux, en l’absence
de normes reçues. Une telle entreprise clinique repose sur
un acte fondé sur une éthique. Le savoir n’y
suffit donc pas, même s’il est nécessaire à
la définition des bases de cette éthique. Aussi les
mécanismes et institutions de production et de transmission
du savoir se révèlent inadéquats en ce qui
concerne l’éthique de la psychanalyse. C’est
ce qui explique la nécessité de procédures
et d’institutions spécifiques vouées à
la production du psychanalyste et à la garantie de son acte.
Le concept d’École proposé par Lacan répond
à cette nécessité. Plus qu’un Institut
voué à la transmission de savoirs acquis et reçus,
une École se consacre au savoir qui fonde une éthique
dont on attend des résultats spécifiques. Elle vise
la formation par l'examen des conditions et des conséquences
de l'acte éthique plus que la transmission des savoirs reçus.
Les effets de la psychanalyse ne sont pas séparables du savoir
qui fonde son éthique, voilà ce qu’une École
doit justifier.
Depuis
sa création en 1974, le Gifric travaille à la mise
en œuvre des enjeux d’École pour soutenir le recommencement
de l’expérience freudienne dans les paramètres
proposés par Jacques Lacan dans son retour à Freud.
Ce travail s’est concrétisé par les activités
de la section clinique psychanalytique du Gifric durant ces vingt
dernières années. Que ce soit au niveau des pratiques
cliniques psychanalytiques, en bureau privé ou dans les centres
de traitement du Gifric, que ce soit dans les sessions de formation
au Québec et aux États-Unis, que ce soit par les supervisions
et les contrôles offerts aux cliniciens et analystes, progressivement
s’est constituée une clinique, fondée sur une
éthique dont le savoir issu de l’expérience
garantissait les repères symboliques et les effets cliniques,
donc le rapport au réel.
De
nombreux cliniciens au Québec et maintenant aux États-Unis
sont formés dans ce cadre. Plusieurs d’entre eux désiraient
bénéficier des conditions de garantie, de dialogue
et de travail continu, réunies au Gifric. Mais le Gifric
ne désirait pas augmenter le nombre de ses membres par un
tel processus. Alors est née l’idée de créer
une École qui réaliserait pour ceux qui le désirent
les conditions réunies par la Section clinique psychanalytique
du Gifric. Une telle solution permettrait de répondre à
la demande de ceux que soutenait leur désir de savoir, sans
pour autant changer les structures internes du Gifric. C’est
ainsi que furent organisées les journées cliniques
des 13 et 14 novembre 1992 autour d’une proposition faite
par le Gifric à tous ceux qui au Québec se réclamaient
de l’enseignement et de la clinique de Jacques Lacan, pour
étudier ensemble les conditions de constitution d’une
École pour le Savoir analytique. Une mise au travail s’ensuivit,
tant à Montréal qu’à Québec, pour
réaliser le « Projet d’École ».
Le 23 juin 1997, après la discussion des rapports des différentes
commissions de ce projet d’École, l’Assemblée
générale du Gifric votait le passage à l’École
selon le principe de la passe à l’entrée pour
les membres du projet d’École. Les premières
structures de cette École présentées et discutées
en assemblée des membres en mai de la même année
furent adoptées par un vote de l’Assemblée générale
du Gifric. Désormais, le projet d’École devenait
officiellement l’École du Gifric, sous le nom d’École
freudienne du Québec.
L’objectif
de l’École est double, d’une part elle doit recueillir
et promouvoir face à la science et à la société
le savoir spécifique issu de l’expérience analytique
conduite à son terme logique. Elle le fait par les procédures
de la Passe. D’autre part elle doit assurer les conditions
éthiques de renouvellement de l’acte analytique. Elle
le fait par le mécanisme de la garantie. Par la mise en œuvre
des moyens de ce double objectif, l’École travaille
à la production du psychanalyste et à la garantie
de son acte. Restent au niveau de la Section clinique psychanalytique
du Gifric, les sessions de formation, les supervisions et contrôles,
les séminaires cliniques. La Section clinique psychanalytique
continue à travailler à la formation des psychanalystes,
à l’extension de la psychanalyse et à ses applications
cliniques en collaboration et complémentarité avec
l’École. De telles activités accompagnent les
objectifs de l’École sans les détourner de leur
fonction première qui est la psychanalyse en « intension
», la production du psychanalyste, le recommencement de l’acte
et de l’expérience de Freud, et la production du savoir
qui fonde l’éthique de l’acte et assure ses effets
de traitement.
L’École
est ainsi structurée autour de deux axes, la passe et la
garantie. Ces axes ordonnent toutes les activités de l’École
autour de la mise en œuvre de l’expérience analytique,
où sous l’action du transfert le sujet est convié
à traiter ses rêves, ses symptômes, et tous les
états de son fantasme jusqu’à la réduction
de son angoisse en un certain savoir. Ces activités de l’École
s’organisent grâce à un outil singulier qui impose
sa forme et sa logique propre aux résultats escomptés,
c’est le cartel. Le travail en cartel témoigne de,
et répond à la question de l’écart qui
rend le savoir impropre à la vérité.
La
Passe est la procédure qui permet à l’École
le recueil et l’archivage du savoir qui résulte de
la logique qui conduit l’expérience analytique à
son terme dans chaque cas particulier. Mais à l’École
freudienne du Québec, la Passe à l’entrée
se distingue de la Passe de l’École. La première
détermine le mode d’entrée à l’ÉFQ.
Le membre de l’École a un savoir sur l’inconscient,
ses effets et son mode d’articulation propre dont il peut
témoigner à l’École, et qui sera la base
de son travail au cartel. La Passe de l’École par contre
établit le savoir qui reste de la logique qui mène
l’expérience à son terme, pour autant que peut
s’y fonder, et comment, l’éthique qui rend compte
de l’acte analytique.
L’enjeu
de la Passe, outre les conditions du recommencement de l’expérience
freudienne, tourne autour de la question du passage de la singularité
de l’expérience à la généralité
de l’acte pour autant que ce qu’il vise ouvre à
un universel.
La
garantie rend compte pour l’École, que l’acte
analytique est fondé sur une éthique. Ses effets se
justifient de là. Le séminaire de contrôle,
qui interroge l’acte quant à ses raisons et à
partir de ses effets dans l’expérience, anime les cartels
où se vérifient les rapports logiques de cette éthique
au terme spécifique qui conclut l’expérience
pour l’analyste. La garantie exige plus. L’éthique
spécifique de l’analyse ne fonde l’acte dans
son rapport singulier à la logique qui conclut l’expérience
qu’en ouvrant cet acte sur l’au-delà de cette
singularité. L’acte, en effet se motive de la rencontre
du sujet avec la jouissance singulière à quoi il se
réduit, face à l’absence de l’Autre qui
troue la structure de l’adresse. Le contrôle interroge
cette deuxième dimension de l’acte dont l’enjeu
va au-delà du généralisable. La garantie concerne
donc le recommencement de l’expérience freudienne,
l’éthique où se vérifient les raisons
et les effets de l’acte, et par suite la limite des domaines
où la psychanalyse est applicable avec quelque conséquence
pour le sujet. C’est seulement par là que l’École
recueillant et archivant les résultats du contrôle
comme les effets de son enseignement, garantit qu’il y a du
psychanalyste.
Ainsi
Passe et Garantie fondent une pratique qui se vérifie par
ses effets. La sommation, la comparaison, la sériation et
l'accumulation des cas règlent les conditions de leur archivage
grâce aux travaux des cartels. Une clinique se structure et
s'organise qui permet à l'École de faire état
d'un savoir qui rivalise de rigueur avec la science en ce qui concerne
ce réel que le langage introduit comme la matière
de l'humain.
Septembre
1998