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Le
388, un centre psychanalytique
pour le traitement des psychoses
Par Antoine
B.-Duchesne et Sarah Pham Thi Desmarteau
Il
y a maintenant plus de 30 ans, le « 388 » ouvrait ses
portes. Cette clinique unique, offrant un traitement psychanalytique
intégré de la psychose, s’est depuis taillé
une place importante dans l’offre de soins communautaire de
la ville de Québec (Canada). Sise dans une maison victorienne
au cœur du quartier St-Sauveur, elle demeure aujourd’hui
considérée par les patients et leurs familles comme
un refuge essentiel, et l’un des rares endroits où les
patients peuvent être "[...] acceptés tel
[qu’ils] sont, pour ce [qu'ils] peuvent devenir.[1]"
Depuis
son ouverture en 1982, l'objectif principal du "388" fut
de proposer une approche thérapeutique alternative aux jeunes
adultes souffrants de troubles psychotiques, tout en leur fournissant
des soins médicaux de pointe. Comment a-t-il pu réussir
un tel tour de force? D'abord et avant tout, ses fondateurs ont commencé
par remettre en question le dogme de l’impossibilité
du traitement psychanalytique des psychoses. Pour ce faire, toujours
dans le but de rendre possible une cure analytique avec leurs patients,
ils durent créer un cadre théorique nouveau, basé
sur leur expérience clinique ainsi que sur une relecture des
psychanalyses freudienne et lacanienne. Le détail de ce renouveau
théorique dépasse les objectifs de cet article, mais
de nombreuses publications du GIFRIC (Groupe interdisciplinaire freudien
de recherche et d’intervention cliniques et culturelles) étayent
ces aspects (voir les références ci-bas). Cette position
théorique est fondamentale pour le centre, en ceci qu’elle
fournit une compréhension commune des problèmes rencontrés
par les usagers et oriente les interventions auprès d’eux.
"La psychanalyse dans le fond, ce qu’elle m’a
apporté de plus fondamental, […] la liberté et
la liberté d’arrêter de détruire, la liberté
de construire."
Toutefois,
bien que la psychanalyse constitue la pierre angulaire du traitement,
les usagers n'entreprennent pas leur psychanalyse dès leur
admission au Centre : cette dimension, quoique centrale, fait partie
d'une approche intégrée comprenant un suivi psychiatrique
régulier, un soutien psychosocial individuel et familial par
une équipe d’intervenants, des ateliers d’arts
avec des artistes professionnels de Québec (musique, arts visuels,
écriture, théâtre, céramique, etc.) ainsi
que de nombreuses activités communautaires (activités
culturelles, sportives, etc.) qui favorisent l'intégration
sociale. Les usagers peuvent également prendre part à
des projets collectifs tels que la participation à des camps
biannuels ou en organisant des voyages (par exemple, en 2016, un groupe
d’usagers put visiter New York avec des fonds qu’ils avaient
eux-mêmes amassés).
"Qu'est-ce que la maladie mentale? C'est un sentiment
d'exclusion. C'est ça mon problème: je me sens exclu."
L'intégration
en groupe est une partie cruciale du traitement des patients: d'un
point de vue psychanalytique, l'un des principaux aspects de la psychose
est qu'elle dénoue le lien qui existe entre l'expérience
subjective et la réalité socialement imposée.
De ce fait, les individus aux prises avec la psychose risquent d’être
marginalisés, voire exclus de leurs communautés, l’espace
social pouvant alors être vécu comme persécutoire.
Coincés, il leur devient impossible d’entrevoir comment
faire une place à leurs aspirations au sein d’une telle
société. C’est pour cette raison que le "388",
dans sa structure même, est fortement orienté vers la
réinsertion de ces jeunes adultes dans le lien social. Ce qui
différencie cette réinsertion des thérapies traditionnelles
de réadaptation sociale, c'est qu'elle vise premièrement
à soutenir les patients dans leur tentative de participer à
la vie sociale sans pour autant abandonner leurs désirs et
aspirations subjectifs. Cette orientation est directement tirée
de la psychanalyse: le but n'est pas d'éteindre la quête
de chaque humain en la rendant conforme, mais de lui permettre de
l'articuler au sein d'un groupe ou d'une société. En
ce sens, la disposition de la clinique est elle-même pensée
pour favoriser l'intégration: les usagers peuvent échanger
dans des salons communs, sont enjoints à cuisiner ensemble
et à partager des repas, etc. En ces termes d'intégration
sociale, le travail combiné des patients, des familles et du
personnel a donné des résultats. Sur la base des données
les plus récentes, après trois ans de traitement, le
nombre d'usagers actifs (travail, études ou bénévolat)
est passée de 24% à 71% et la majorité a pu atteindre
l’autonomie financière (56% par rapport à 28%
avant de débuter le traitement) [2].
"Ce que j'aime du 388, c'est que c'est une maison plus
ouverte à la vie extérieure, qui ne nous marginalise
pas, qui ne nous isole pas, qui ne coupe pas nos liens avec le monde
extérieur. Ici, j'ai l'impression de reconstruire ma vie de
manière solide, avec une meilleure perception, un meilleur
guide pour faire face à la vie extérieure."
L'un
des principaux objectifs de l'équipe est d'éviter l'hospitalisation.
Ainsi, en plus des soins psychiatriques ambulatoires réguliers,
le centre est ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, ceci afin que
le personnel puisse répondre aux appels téléphoniques
et fournir un soutien social plus intensif au besoin. Si cela ne suffit
pas, 4 chambres (5 lits) sont disponibles pour des séjours
de courte durée pour les usagers en crise aigüe. L'idée
est de leur fournir un environnement sûr et ouvert leur permettant
de travailler et de réfléchir sur leurs crises à
mesure qu'elles émergent. Forts de ce travail, ils pourront
mieux comprendre la signification de leurs crises et les gérer
avec de nouveaux outils. Ces mesures, combinées aux soins intégratifs
de la clinique, ont permis une réduction significative des
séjours hospitaliers: durant les trois premières années
de traitement, les patients passent 78% moins de jours à l'hôpital
que durant les trois années précédant leur admission
au centre.
"Lors
de ma dernière hospitalisation, [...] je lui dis [au psychiatre]
que j'entends des voix… «ah, occupe-toi pas de ça,
occupe-toi donc pas de ça!» [...] Si je ne peux pas en
parler, si je peux pas les approcher, les apprivoiser, essayer de
les comprendre, qu’est-ce qu’elles font là, leur
raison, leur cause, si on ne les traite pas, imaginez-vous les conséquences
d'une psychose, après quoi on tombe dans les hospitalisations
deux fois par année!"
L’approche
psychanalytique des symptômes psychiatriques peut parfois différer
de leur interprétation neurobiologique, notamment en ce qui
concerne la signification de ces symptômes. Ainsi, les cliniciens
d’orientation analytique sont enclins à explorer le monde
interne au sein duquel naissent les symptômes, guidant le patient
pour qu’il en dégage le sens. Au "388", les
psychiatres partagent cette attitude face aux symptômes psychotiques,
étendant cette compréhension au rôle joué
par la médication. Or, même s'il n'y a aucun traitement
forcé au centre, les psychiatres suivent les lignes directrices
pharmacothérapeutiques les plus récentes. Toutefois,
ils s’intéresseront aux attitudes des patients à
l'égard de la médication, explorant leurs perceptions
et essayant de parvenir à un accord mutuel avant de prescrire
une pharmacothérapie. Dans cette optique, le but du traitement
pharmacologique n'est pas d'éliminer les symptômes en
soi, mais de les réduire suffisamment pour garantir une autonomie
suffisante, permettre les activités de création, le
travail psychanalytique et l'intégration sociale.
"Une comparaison: les médicaments, c’est
un peu comme un plaster, puis quand t’enlèves
le plaster, ça se remet à saigner. Avec la
psychanalyse, tu n’as plus besoin de plaster, t’es
cicatrisé!"
Malheureusement,
pour des raisons d’origine politique, idéologique ou
économique, le "388" a souffert d’une certaine
marginalisation par les institutions psychiatriques traditionnelles.
Au début des années 2000, le "388" dût
même défendre son existence: des critiques demandaient
la fermeture du centre, soutenant que la psychanalyse n'était
pas pertinente dans l’offre de services aux jeunes psychotiques.
En réponse à ces préoccupations, en 2002, un
comité indépendant fut nommé par le ministère
de la Santé du Québec pour étudier la question.
Suite à son évaluation, le comité conclut à
l'excellence des soins médicaux prodigués, et que compte
tenu de l'approche globale et des taux élevés de satisfaction
des usagers et des familles, le "388" devait préserver
son programme tel quel. C'est d’ailleurs ce que le personnel
du centre fit, et ce qu'il entend continuer de faire. Cependant, en
raison d’importantes réformes dans le domaine de la santé
mentale qui ont actuellement court dans toute la province, sa forme
actuelle risque d’être compromise. Demeurons tout de même
optimistes, car bien que le centre ait traversé de nombreuses
épreuves et tribulations, il a toujours survécu, soutenu
par la confiance des patients et de leurs familles. C’est en
ces termes que nous conclurons cette brève présentation
du "388", portés par le mot d’un usager :
"Je
pense qu'au 388 ils croient au pouvoir des humains, à l'humanisme
qui habite en chacun de nous et que tout est possible avec cet humanisme,
avec cette approche humaniste qui nous rend notre dignité […]
Pas à pas, nous reconstruisons puis nous recréons nos
vies."
[1]
Toutes les citations en gras sont tirées de témoignages
d'usagers qui furent traités au "388", présentement
ou dans le passé.
[2]
Données tirées des résultats les plus récents
du "388", telles qu'elles furent présentées
au 51ème congrès de l'AMPQ (Association des médecins
psychiatres du Québec) en 2017.
Références
Apollon
W., Bergeron D., Cantin L., et al. (2013), Un avenir pour le psychotique,
le dispositif du traitement psychanalytique, Collection Nœud,
Éditions du GIFRIC.
Apollon
W., Bergeron D., Cantin L., (1990), Traiter la psychose, Collection
Nœud, Éditions du GIFRIC.
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Les ateliers d'art au 388
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