>[Retour aux Activités 2009-2010]


>[Fil de discussion]

>[Nos actualités]

>[Carnets de lecture]

>[Débat]

>[Courrier]

>[Liens]

>[Archives]


Débat


 


Qui a peur de la psychanalyse?
Willy Apollon

Comment penser une évaluation d'un traitement psychanalytique des psychoses
Lucie Cantin

 

Qui a peur de la psychanalyse?

Willy Apollon
Santé mentale au Québec (2005), vol. 30, n° 1 : 165-182.

page 1 | page 2 | page 3 | page 4 | page 5 | page 6 | page 7 | page 8

Le prétendu dualisme de Apollon et collaborateurs

Voila donc le cadre dans lequel se sont développées notre observation et notre analyse de l’évolution de la psychiatrie au Québec pendant les vingt dernières années. Nous connaissons parfaitement les apports des neurosciences à la psychiatrie de Pavlov ou Skinner à Kandel ou Damasio, et nous ne négligeons nullement les apports des Européens dans ce domaine. Nos nombreux collègues et collaborateurs psychiatres, psychologues, sociologues et anthropologues ne manquent pas de nous tenir à jour dans nos échanges mensuels en plus de soutenir nos propres intérêts intellectuels d’analystes soucieux d’abord d’avoir des résultats vérifiables par des tiers pour nos patients, et de ce fait curieux de tout ce qui peut améliorer les conditions de vie et de santé de nos patients. Et il ne s’agit pas là pour nous de discours de circonstances ni de vœux pieux. Nos résultats et la satisfaction de nos clients sont là, accessibles à qui veut bien les constater et les vérifier. C’est très précisément parce que nous savons fort bien où vont les sciences et ce qu’elles peuvent nous apporter, que nous exerçons à leur égard la prudence clinique nécessaire pour que le bien-être des patients dont nous avons la responsabilité clinique et leur évolution psychosociale passent avant la satisfaction des chercheurs. Nous avons trop d’estime pour la science et pour la recherche scientifique véritable pour les rabaisser à ce statut de substitut idéologique et narcissique à un défaut de résultat clinique auquel certains les réduisent aujourd’hui. Il ne s’agit pas pour nous de soutenir un dualisme cartésien, même s’il nous semblerait de toute façon préférable au monoïdéisme idéologique, faux mimétisme du monisme spinoziste(1), qui alimente un courant dominant en psychiatrie et en psychologie actuellement dans la recherche et l’université en Amérique du Nord. Ce qui caractérise les sciences et la médecine moderne, quelque soit le domaine envisagé, c’est le résultat combiné à la satisfaction des utilisateurs. La science recule les limites du possible. Mais elle ne détermine jamais le souhaitable. La société globalement, et non la science, se donne les moyens politiques de déterminer à travers des choix historiques de société, ce qui est recevable dans le champ du possible. Dans un univers traditionaliste, de droite ou d’extrême droite, les choses pourraient en rester là. Mais aujourd’hui dans la majorité de nos sociétés dites démocratiques, les choix de société se veulent inclusifs en regard des aspirations des minorités, et en regard des plus démunis dont les malades mentaux sévères et psychotiques font partie. Et de plus en plus, la question du souhaitable, mettant en jeu le désir de chacun, se distingue comme un au-delà de ce qui est recevable pour la communauté dans son ensemble, ou un groupe particulier, fût-il un corps professionnel respectable et prestigieux. Cette évolution de nos sociétés aboutit aux Chartes des droits des personnes. Il s’en suit de nouveaux enjeux éthiques qui perturbent l’ordre même du social dans son sens traditionnel. Une telle évolution définit de nouvelles contraintes pour l’examen de l’avenir d’une psychiatrie qui se soucierait d’abord du bien-être des patients.

Les sciences reculant les limites du possible nous apportent aujourd’hui énormément de lumière sur nos choix de société, mais elles nous apportent également le pire en termes de possibilité de destruction de l’humanité, de sa dignité et de son habitat. Dans ce sens, elles sont amorales par nature, au mieux indifférentes aux enjeux de la morale. Elles n’ont pas les moyens de se soucier de ce qui est recevable dans une société. L’humain est toujours le résultat d’une décision et d’un acte créateur qui innovent et tranchent dans une antinomie ou une contradiction fondamentale, résolvant et dépassant une dualité déchirante pour le sujet ou le collectif qui décident. Cette contradiction peut prendre une forme dramatique ou tragique selon qu’elle met en scène la dimension du sublime ou celle de l’antinomie. Cette dualité au plus simple peut se traduire en des couples connus d’opposés, la personne ou la société, l’émotion ou la raison, l’intérêt particulier ou l’intérêt général, le plaisir individuel ou le bien commun, la liberté ou la contrainte, le cerveau ou l’esprit, le biologique ou l’éthique, les intérêts des patients ou les intérêts des institutions économiques, administratifs ou politiques, etc. En regard de ces dualités qui définissent le champ d’une créativité éthique, la société, le collectif humain, et non la science, définit les valeurs qui guident les choix et règlent l’action. Les psychanalystes ont tendance à considérer comme pervers tout raisonnement qui tend à nier ces dualités, en les ramenant à une des perspectives et en gommant l’autre. Cette scotomisation d’une partie de la réalité, fondée sur un refus profond de la différence et de ses contraintes éthiques, y substitue un enjeu politique de rapport de force, là où le raisonnement déraille d’une logique sociale qui puisse être partagée par tous, en particulier par les plus faibles. C’est le collectif des citoyens, la société civile, qui se donne les moyens politiques de déterminer historiquement ce qui est recevable pour une communauté donnée et fonde dès lors ses valeurs et ses règles sur la garantie de cette recevabilité.

[Page précédente]

[Page suivante]


Groupe interdisciplinaire freudien de recherche et d'intervention clinique et culturelle

342, boul. René-Lévesque ouest,Québec, Qc, Canada,G1S 1R9