Qui
a peur de la psychanalyse?
Choisir
le sujet avant l’institution, et s’il le faut contre l’institution,
c’est d’abord en revenir à ce que le citoyen considère
comme une éthique médicale de base: le médecin
est son médecin. Il est d’abord à son service.
Comme son avocat, il est de son côté. Il peut lui confier
son corps, sa santé, sa vie. Il n’a pas à craindre
que le prestige ou les intérêts de la recherche ou de
l’institution hospitalière ou n’importe quelle
autre institution, passent avant sa santé ou son bien-être.
Il en est convaincu. Cette réaction intime de tout patient,
est aujourd’hui difficilement le fait d’un psychotique.
Le psychotique voit «souvent» le psychiatre comme un fonctionnaire
au service du public plutôt que comme son médecin au
service de sa santé. Très rapidement le médecin
est d’abord pour un jeune psychotique, celui qui le condamne,
qui vient lui enlever tous ses espoirs de jeunes de 20 ou 22 ans.
Ensuite le médecin psychiatre, celui qui est supposé
savoir de quoi il souffre et qui peut quelque chose pour lui, est
celui qu’il voit le moins souvent, une fois aux deux ou trois
mois, parfois même moins. À mesure qu’il se chronicise,
avec le temps, le médecin, son médecin, le voit moins
souvent, sauf s’il est hospitalisé. Il va être
confié par son médecin ou l’institution à
d’autres intervenants qui prendront le contrôle de tous
les détails importants de sa vie. Et il sera à charge
à la société pour la plus grande part du reste
de sa vie. En effet, son psychiatre désormais a beaucoup de
travail avec d’autres patients, moins handicapés mais
plus satisfaisants. Il y a là une tendance à renverser,
pour que la psychiatrie ait encore un sens et un avenir pour les patients
et pas seulement pour les psychiatres et les institutions. Faire le
choix du sujet peut renverser le rapport du patient à sa souffrance
mentale, à son délire et ses hallucinations. C’est
du moins le constat le plus évident que nous avons fait en
vingt ans de psychanalyse avec les psychotiques. Mais cela suppose
tout un changement de problématique en ce qui concerne le discours
de la psychiatrie sur elle-même et sur ses clients. Cela entraînerait
aussi tout un changement dans les rapports de la psychiatrie avec
les institutions politiques, administratives et économiques.
Seuls les psychiatres peuvent opérer de tels changements et
engager les discussions, recherches et débats qui les amèneraient
en tant que collectif à prendre position de façon décidée
et active dans le contexte global de crise éthique de nos sociétés,
face à l’État et face aux institutions administratives
et économiques et leur alliance historique. De l’extérieur,
on peut constater la nécessité que la psychiatrie opère
un changement de cap radical, face aux problèmes d’époque
et de société auxquels elle est confrontée. Mais
de tels changements ne peuvent se décider ni s’opérer
que de l’intérieur. Ils ne peuvent pas être issus
de pressions exercées de l’extérieur sur la psychiatrie,
des changements obtenus ainsi de l’extérieur ne seraient
pas crédibles à moyen terme, car ils n’auraient
pas surgi du génie propre de la psychiatrie. Les problèmes
de la psychiatrie viennent d’un contexte historique global de
déstructuration, provisoire mais certaine, des fondements d’une
coexistence symbolique dans nos sociétés. Les solutions
à ces problèmes ne peuvent être que le résultat
de créations voire de mutations issues de l’intérieur,
du génie propre de la psychiatrie. De toute façon, le
mouvement historique pouvant entraîner de telles créations
est déjà commencé, en France, en Italie, dans
certains secteurs de la psychiatrie américaine et au Québec.
Mais au Québec, notre confiance dans la qualité de notre
système de santé public est telle, qu’un tel mouvement
est nécessairement considéré encore comme marginal
dans le milieu de la psychiatrie. C’est loin d’être
le cas dans le milieu communautaire et alternatif québécois,
comme en témoignent ici même les textes de Paul Morin
et de Jérôme Guay fort éclairants et représentatifs
des nouvelles tendances.