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Qui
a peur de la psychanalyse?
C’est
d’abord en tant que citoyen et non en tant que scientifique,
que l’homme de science intervient comme tout autre
citoyen dans les choix de société qui déterminent
ce qui est recevable et ce qui ne l’est pas dans sa
communauté. De là la tricherie intellectuelle
et la tromperie morale, qui consisteraient à faire
passer les règles de la méthode scientifique,
surtout si elles sont réduites à celles de
la méthode expérimentale, pour des règles
d’éthique valables pour la clinique. De toute
évidence l’histoire récente nous accule
de plus en plus au constat que ce qui est recevable dans
tel pays, les États-unis d’Amérique
par exemple, compte tenu des contextes particuliers de concurrence
ou de collusion entre compagnies pharmaceutiques ou de biotechnologie,
de sociétés d’assurances et d’institutions
hospitalières et qui semblent devoir déterminer
l’avenir de la psychiatrie, ne peut pas être
tenu pour recevable et encore moins souhaitable pour le
Québec avec son système de santé publique.
Et le clinicien québécois aujourd’hui,
sujet des chartes des droits tant canadienne que québécoise
au même titre que son patient, se doit de faire face
à la question décisive en psychiatrie, que
ce qui est souhaitable pour et par le patient, n’est
pas simplement ce qui est recevable pour son association
professionnelle ou son syndicat, voire même l’institution
qui le paye, cette institution fut-elle l’État
lui-même. C’est là que commence la question
d’éthique, que nous avons mise au cœur
de la clinique des psychoses aujourd’hui au Québec,
et nul apport des neurosciences ne pourrait ici servir de
substitut au courage moral que les patients et leurs familles
attendent des cliniciens, en particulier des psychiatres,
qui sont payés à même leurs impôts,
en regard de l’obstacle que peuvent représenter
aujourd’hui pour la santé mentale, certains
intérêts et certaines pratiques des institutions
et des associations de professionnels.
La psychiatrie comme telle n’est pas en crise. De
plus en plus, elle est plurielle et déchirée
de contradictions. C’est un état de fait historique
et provisoire. Ce n’est pas le résultat d’une
structure ou d’un désordre internes à
la psychiatrie. Cette déchirure, cette pluralité
de perspectives et ces contradictions, reflètent
en fait la prise de la psychiatrie et son intégration
dans une situation globale de nos sociétés
occidentales. C’est une crise globale de l’éthique
qui secoue toutes nos sociétés industrielles
et technologiques avancées. L’éthique,
c’est la recherche, l’étude et la détermination
des fondements et de la légitimation historique des
valeurs morales. C’est un fait, nous avons perdu globalement
la capacité de redéfinir collectivement les
fondements de la morale pour notre temps et nous hésitons
constamment quant aux valeurs qui détermineront historiquement
nos choix de société. Cette situation globale
crève à journée longue nos écrans
de télévision. Nous ne savons plus vraiment
si et quand nous pouvons nous fier à nos institutions
qui jusqu’ici étaient les plus stables. Des
organisations internationales les traversent et réduisent
de plus en plus les marges de manœuvre de nos états
nationaux et la signification de notre vote de citoyen.
Il s’agit là d’un moment incontournable
de l’évolution humaine, dont plusieurs générations
devront subir et assumer les conséquences avant de
réussir à promouvoir les mutations sociales
nécessaires. Dans cette situation globale, il est
structurellement inévitable que la psychiatrie se
retrouve dans une impasse provisoire. Compte tenu de sa
fonction sociale et de son rapport intime à ce qu’il
y a de plus profondément humain en nous, elle ne
peut pas échapper aux conséquences subjectives
de la crise globale de détermination des fondements
de la morale que nous traversons. Mais cela définit
également les paramètres de son évolution
à court et à moyen terme.
C’est le champ de la santé mentale tout entier
qui est subverti par la situation globale de crise éthique
que les sociétés occidentales traversent. Une
telle crise permet bien sûr des résurgences et
des alliances nouvelles de toutes les droites, politique,
religieuse, ethnocentrique, idéologique, militariste,
nationaliste et dans tous les secteurs, y compris dans la
psychiatrie. Et elles ont les moyens financiers d’occuper
tout un secteur du savoir, en particulier la santé
mentale, pour mener à bien leur nouvelle Alliance,
pendant que les gauches de tout acabit s’emploient comme
d’habitude à s’entredéchirer et
à s’autodétruire. Ce n’est pas la
psychopharmacologie, ni encore moins les neurosciences qui
peuvent apporter quelque remède que ce soit aux effets
d’une telle situation sur des subjectivités désormais
privées de repères éthiques crédibles.
Ces effets frappent particulièrement les jeunes déjà
fragilisés par une structure psychotique. Dans nos
sociétés, la psychiatrie n’a de sens historiquement
qu’en promouvant des traitements efficaces pour les
troubles mentaux sévères et persistants en particulier
les psychoses. Nous prétendons simplement que durant
les cinquante dernières années, la situation
de la psychiatrie montre ce que la psychanalyse tient pour
évident depuis Freud, c’est que, sans des repères
éthiques crédibles, de tels traitements sont
impossibles. On ne peut compter traiter biologiquement dans
les individus les conséquences de défauts ou
désorganisations structurels de leur environnement
parental, social, culturel, symbolique et historique. Au niveau
historique et social et du point de vue de l’évolution,
de tels défauts sont provisoires et ne dureront peut-être
que de dix à vingt générations. Mais
au niveau des personnes, ce sont des vies entières
qui sont impliquées et boule versées, avec un
risque global pour les collectivités de perte politique
du contrôle social des enjeux de coexistence. Cette
situation globale vécue de façon intime par
les sujets, dans le silence, la violence et le désarroi
pour des jeunes de 4 à 7 ans, puis resurgissant avec
plus de violence et de perte de repères symboliques
entre 11 et 15 ans, crée un bouillon de culture de
désorganisation psychique auquel notre époque
réagit d’abord par des médicaments. Très
tôt cette situation finira par échapper complètement
à la compréhension d’une psychiatrie centrée
sur le seul traitement biomédical des symptômes
physiques, sans avoir assez le souci d’être attentive
également et peut-être d’abord au drame
subjectif qui a échoué à se dire.
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Groupe interdisciplinaire freudien de recherche et d'intervention clinique
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1R9
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