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Débat


 


Qui a peur de la psychanalyse?
Willy Apollon

Comment penser une évaluation d'un traitement psychanalytique des psychoses
Lucie Cantin

 

Qui a peur de la psychanalyse?

Willy Apollon
Santé mentale au Québec (2005), vol. 30, n° 1 : 165-182.

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Dans le contexte historique où nous nous trouvons au Québec, le refus brutal de la psychanalyse au moment même où grâce à des transformations internes, elle offre les premiers résultats jusque-là inespérés dans le domaine des troubles mentaux graves et persistants, relève peut-être d’une peur dont l’objet est apparemment mal identifié. La psychanalyse est dangereuse, voire même nuisible, dit-on, c’est peut-être vrai. Mais pour qui et pour quoi? Certes pas pour les jeunes psychotiques et les familles qui, au 388, y trouvent leur compte. À en croire les journalistes qui ont voulu rendre compte de l’attribution du prix Hans W. Loewald aux auteurs de l’argument pour leur contribution à l’histoire, à la théorie et à la pratique de la psychanalyse, et en particulier pour leur apport exceptionnel au traitement des psychoses, «Des professionnels de la Santé mentale qui sont contre l’approche psychanalytique du Gifric, admettent après avoir demandé l’anonymat que cette méthode thérapeutique donne des résultats indéniables». Une telle prudence politique, une telle nécessité de se protéger dans la reconnaissance même de ce qui est souhaitable, suppose toute une culture du silence et de dénigrement orchestrée de la psychanalyse comme le mal absolu dans le champ du traitement de la psychose. Qu’est-ce qui est réactivé ainsi par l’intervention de la psychanalyse dans ce champ de la psychose, pour qu’une telle intervention provoque une peur si profonde? Ouvertement parfois, mais plus souvent sous le couvert de l’anonymat on argue que la psychanalyse réactive dans la psychose des forces qui deviennent socialement et cliniquement incontrôlables, véritables plaies ouvertes au flanc d’un univers symbolique rendu déjà si fragile par la crise éthique qui ébranle nos sociétés. Serions-nous encore prisonniers d’une peur imaginaire et religieuse de la folie, qui, dans un passé pas si lointain, a alimenté tant d’agression et de violence enveloppées dans une volonté sociale de contrôle et de commisération à l’égard du fou? Est-ce que au-delà de la psychanalyse, ce qui serait visé, ce serait cette volonté arrêtée du psychanalyste de donner la parole au malade mental, d’entendre ce qu’il a à dire lui de ce qui est sa psychose, plutôt que d’écouter le scientifique et ses brillantes études sur ce qu’il a pu observer dans son laboratoire avec les animaux ou avec ses machines, à une distance prudente et calculée de cette folie socialement dangereuse et subjectivement ravageante? Il me semble que l’avenir de la psychiatrie est inséparable de la réponse qu’elle voudra donner à cette question là dans le contexte de société où nous évoluons. On pourrait souhaiter pour les patients et leurs familles, une psychiatrie ouverte à la diversité et aux multiples dimensions de l’humain qui bouleversent le psychisme d’êtres aux prises avec des sociétés désarrimées de leurs balises symboliques. Cela suppose que la psychiatrie nouvelle, loin d’être un parent pauvre de la génétique, de la neurologie, de la pharmacologie ou de la psychologie du comportement, par manque de résultats satisfaisants pour les patients, ouvrira ces secteurs de la médecine et des neurosciences à des perspectives humaines plus globales et plus proches de la réalité de la vie. C’est aussi souhaiter une psychiatrie capable de faire face tant aux forces et aux terreurs profondes qui nous habitent qu’à la capacité de l’être humain de prendre les risques les plus incalculables pour créer du possible dans les impasses les plus désespérées. Avant et depuis qu’il s’est construit la science comme outil l’homme a toujours fait face au pire dans son environnement et en lui-même.L’avenir de la psychiatrie pour ceux qui ne sont pas psychiatres et ceux qui ont tant besoin d’une psychiatrie en phase avec nos situations d’aujourd’hui, est peut-être lié à la générosité et au génie que les psychiatres investiront collectivement dans la création de solutions plus crédibles parce que plus diversifiées et véritablement porteuses de résultats.

Note

1. Le lecteur de Damasio non philosophiquement averti peut fort mal évaluer l’opposition fort complexe entre Descartes et Spinoza. Descartes part du point de vue de la conscience individuelle qui doute de la réalité du monde dont elle fait partie, sans jamais réussir à en rendre compte, aussi pour lui l’esprit et le réel ne se rejoignent pas. Spinoza part du Tout dont la conscience est un mode, aussi il parvient à rendre compte d’un rapport entre l’esprit et le réel. Or ceux qui se réclament de Spinoza partent de données des sciences du cerveau, un point de départ que contrairement à Spinoza, Descartes ne désavouerait pas. Ce débat reste ouvert.

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