Le
contexte de l’évaluation
En mai 2002, l’État québécois demandait une évaluation du Centre
psychanalytique de traitement pour psychotiques : Le «388».
Le contexte qui avait donné naissance à cette décision était
politique et non clinique. Le Centre était en effet soudainement
menacé de fermeture pour des raisons officiellement financières
et administratives évoquées par la nouvelle direction de l’hôpital
qui depuis sa création en 1982, en assurait le financement,
dans le cadre d’une entente contractuelle avec le GIFRIC, promoteur
et réalisateur du programme. Le caractère labile et le manque
de cohérence des arguments administratifs invoqués ont fini
par faire surgir au-devant de la scène les motifs idéologiques
de la décision, polarisant dès lors le débat autour de l’approche
psychanalytique qui soutient la clinique du «388». La décision
« administrative » apparaissait en effet nourrie par les tenants
d’une approche biologique de la psychose. La psychanalyse, désormais
présentée comme obsolète depuis l’avènement des avancées de
la psychiatrie biologique et des neurosciences, devenait selon
la littérature citée, non seulement inefficace, mais potentiellement
dangereuse dans le traitement des schizophrènes. Une vive et
tenace opposition à cette décision de fermeture s’est alors
organisée. Un ensemble de professionnels du Québec et de l’étranger
se sont joints aux usagers du «388» et à leurs proches dans
une mobilisation générale donnant lieu à une série d’interventions
auprès du ministre de la Santé et des autorités gouvernementales
impliquées : lettres provenant du Québec, d’Europe et des États-Unis
où certaines équipes sont à importer le modèle de traitement,
rencontres des autorités publiques concernées, manifestations
des usagers eux-mêmes dans les bureaux du ministère... Finalement,
pour mettre fin à la controverse, le ministère de la Santé décidait
de confier à une équipe d’experts externes le soin de trancher
en réalisant une évaluation dont les résultats allaient décider
de l’avenir du Centre.
L’État, en tant que responsable des soins de santé, est aussi
responsable de les évaluer pour en garantir la qualité face
au public. Mais c’est aussi le rôle de l’État d’assurer aux
citoyens le respect de leur droit de choisir un mode particulier
de traitement, en empêchant un groupe, quel qu’il soit, de contrôler
l’ensemble des services. Dans le traitement de la psychose,
du moins en Amérique du Nord, la psychiatrie biologique avec
le support des neurosciences tente ainsi de prendre le contrôle
des services publics. La psychose, désormais assimilée à une
maladie d’origine biologique (maladie du cerveau, trouble neurochimique,
désordre génétique, etc.) est traitée comme telle, et ce d’une
part, en l’absence de tout consensus quant à ses causes qui
demeurent encore indémontrables sur le plan scientifique et
d’autre part, sans obligation de résultats ni réelle évaluation
d’efficacité clinique. Bien que reconnaissant officiellement
et généralement les dimensions bio-psycho-sociales touchées
par la psychose, cette psychiatrie se consacre désormais essentiellement
à l’évaluation diagnostique et au traitement psychopharmacologique
de la psychose, abandonnant le « traitement psychique » aux
thérapies cognitivo-comportementales issues des avancées des
neurosciences et le « social » aux thérapies de réadaptation
visant l’apprentissage ou l’amélioration des habiletés sociales
devenues nécessaires pour le maintien du psychotique dans la
communauté où il doit être «réinséré». Le psychotique en fait
devient l’objet d’une violence inhérente à la visée de rectitude
qui sous-tend l’intervention à son endroit. Rectification du
dysfonctionnement du cerveau par une médication qui devient
une polypharmacie, ciblant distinctement chacun des symptômes
présentés ; orthopédie du psychisme par les thérapies cognitivo-comportementales
qui visent «l’amélioration des stratégies d’adaptation» (Chadwick
et al., 2003 : 134), le traitement du délire et de l’hallucination
par une «correction de la croyance et de l’interprétation erronés
à la lumière des faits de la réalité» et l’apprentissage de
moyens pour savoir «comment ne pas succomber aux voix» (idem
: 131) ; et finalement, programmes de suivi dans la communauté
axés sur le contrôle quotidien de la prise de médicaments supposés
assurer l’absence de rechutes (avec, pour l’intervenant qui
visite le patient à domicile, la consigne de ne pas trop faire
parler ce dernier pour ne pas provoquer l’angoisse et le stress
qui le déstabiliseraient). Bref, un type de traitement qui évacue
le sujet, sa parole, sa dignité, sa responsabilité, sa liberté
et ses choix éthiques et qui est posé comme la norme définie
par les dernières découvertes ou promesses de découvertes scientifiques
sur l’origine de la psychose. Comme s’il était implicitement
admis qu’il ne sert à rien de perdre son temps en offrant aux
psychotiques des services de psychothérapie, désormais réservés
aux personnes souffrant de maladies plus nobles comme les troubles
anxieux, les troubles de l’humeur ou la dépression. Et comme
si, sur le terrain de la psychose, un consensus tacite était
établi : il suffit de travailler à assurer aux psychotiques
de meilleures conditions de vie en attendant de la science la
solution au trouble d’origine biologique dont ils sont atteints.