I.
Vu de l’intérieur :
La vérification de la logique du processus analytique et de
ses résultats
Vue
de l’intérieur, une évaluation du traitement psychanalytique
et de ses résultats est indissociable de la vérification de
la logique du processus analytique dont il faut pouvoir rendre
compte. Bien sûr, comme dans toute association professionnelle,
l’acte et le traitement qui se réclament de la psychanalyse
ne peuvent être reconnus comme tels que par des pairs aptes
à en juger. À cet égard, une École de psychanalyse doit offrir
au public des garanties équivalentes à celles qu’assurent les
associations d’architectes ou d’ingénieurs quant aux actes posés
par leurs membres. Mais avec cette particularité cependant que,
dans le champ de la psychanalyse, l’acte posé par l’analyste
est assujetti à sa position, définie quant à elle, par le point
où il s’est rendu au terme logique de sa propre analyse. Dans
cette perspective, une École de psychanalyse doit créer, au
sein de sa propre organisation, les procédures internes adaptées
au champ qui est le sien et qui permettent la reconnaissance
par les pairs de cette position qui définit les limites de l’acte
de l’analyste.
Lacan
a inventé la procédure de la Passe pour la vérification interne
du processus analytique. Le futur analyste doit ainsi rendre
compte, en tant qu’analysant, de la logique de son parcours,
du savoir que ce travail a produit et des conséquences éthiques
qu’il en a tirées, repérables dans les changements profonds
de sa position subjective5. Il doit donc, au-delà des connaissances
acquises et des critères externes de sa «formation», rendre
compte de ce que Willy Apollon a appelé un « savoir issu de
l’expérience analytique ». La mise en place de la procédure
de la Passe au sein de l’École freudienne du Québec a ainsi
été recentrée sur l’exigence de rendre compte d’un savoir issu
de l’expérience, qui soit transmissible et reconnaissable par
un tiers. Il y a là trois conditions essentielles pour la vérification
interne du parcours et de la fin logique de l’expérience analytique.
Dans
cette même perspective, la garantie que peut offrir une École
de psychanalyse face au public reposera elle aussi, du moins
à Québec, sur l’exigence qui est faite à l’analyste de faire
état du mode sous lequel il peut accompagner et guider un autre
dans l’expérience analytique jusqu’à son terme logique. Comme
dans la Passe, il s’agira d’en faire état d’une façon qui soit
transmissible et reconnaissable par les pairs qui deviennent
ainsi les véritables « témoins » de la position et de l’acte
de l’analyste. L’analyste ne sera donc pas « nommé » par une
quelconque instance, mais reconnu par ses pairs à sa façon de
conduire une analyse à son terme logique et à ses conséquences.
Il
nous faut dès lors revenir à cette exigence de vérification
interne du processus pour évaluer le traitement analytique des
psychotiques et ses résultats. L’évaluation des effets du traitement
analytique ne peut pas se passer du témoignage du sujet quant
à son expérience et aux changements radicaux que cette expérience
a entraînés pour lui. La psychanalyse ne peut mesurer ses effets
aux seuls résultats observables par des tiers externes. L’arrêt
des hospitalisations pour un psychotique, s’il est un résultat
non négligeable du point de vue de l’État, n’est pas nécessairement
lié à un changement profond de position du psychotique en regard
de sa certitude délirante. L’exigence qui est faite à la psychanalyse
est tout autre, si elle ne veut pas être assimilée à d’autres
approches qui prétendent « faire la même chose » sur la base
de ce type de résultats. Elle doit donc rendre compte des modifications
profondes de position du sujet psychotique, initiées par le
processus analytique, en établissant ce qui les a rendues possibles.
Dès lors, la question devient la suivante : quels sont ces repères
rigoureux qui permettent d’évaluer le cheminement, les avancées
et les changements de position du psychotique dans le processus
de la cure analytique ?
Je
définirai quatre points précis et mesurables dans le témoignage
du psychotique lui-même, à partir desquels peut être vérifié
le changement de sa position subjective : d’abord, le changement
de sa position dans le transfert ; ensuite, dans son lien au
délire ; troisièmement, dans son rapport à la crise et finalement,
dans sa participation sociale. Ce dernier point révèle par ailleurs
un changement d’éthique qui devient repérable par l’observateur
externe.