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Comment
penser une évaluation
d'un traitement psychanalytique des psychoses
Une
démarche évaluative qui n’exclurait pas le sujet
En
désertant de plus en plus le terrain du traitement psychique qu’elle
occupait autrefois et qui en constituait sa raison d’être face aux
autres spécialités médicales, la psychiatrie s’est aussi accolée
aux méthodes d’évaluation issues des sciences exactes. La psychose,
dont la définition est désormais ramenée à la description d’un ensemble
de symptômes issus d’un dysfonctionnement biologique dont la cause
reste à préciser (cause encore strictement inconnue du point de
vue des chercheurs les plus sérieux), s’est vue du coup enfermée
dans une perspective restreinte au traitement de sa symptomatologie.
Dans ce contexte, il est devenu tout à fait possible d’évaluer les
effets d’un traitement en mettant entre parenthèses le sujet et
sa parole. Les méthodes d’évaluation des troubles psychiques et
de leur traitement se veulent «objectives», répondant aux critères
d’une méthodologie expérimentale dont la rigueur se mesure précisément
à l’évacuation des biais que pourrait introduire le sujet en cause
: évaluations objectives des troubles de la pensée, de la mémoire,
de l’attention, imagerie cérébrale, tests psychométriques et neuropsychologiques
de toutes sortes, qui sont pourtant autant de précieux outils pour
nous permettre de prendre la mesure d’une symptomatologie à la condition
de ne pas prendre l’effet pour la cause ni de confondre le constat
de corrélations avec une relation de cause à effet.
Du
point de vue du sujet psychotique, la symptomatologie qu’il présente
est en quelque sorte «secondaire». Apragmatisme, désinvestissement
de la «réalité» et du lien social, troubles de concentration, sont
autant de conséquences liées à une expérience subjective radicale
et intime qui devient désormais le centre de ses préoccupations.
Ce n’est pas que le psychotique soit incapable de participation
sociale ou d’assumer la responsabilité des tâches de la vie quotidienne,
c’est qu’il s’en désintéresse totalement parce que tout entier investi
dans sa propre entreprise. Tout le reste devient « secondaire »,
perte de temps ou obstacle à son travail.
Le
psychanalyste qui se met à l’écoute du psychotique aura ainsi accès
à la logique de cette expérience singulière que le psychotique travaille
à expliciter, à justifier et à solutionner dans la construction
d’un délire dont les enjeux sont forcément eux aussi singuliers.
La psychanalyse ne peut pas se borner à mesurer les effets de cette
expérience psychique dans les symptômes, inhibitions et dysfonctionnements
qu’elle engendre. Dire que le délire et l’hallucination sont des
symptômes typiques de la psychose laissent entier le problème de
leur contenu qui, lui n’est pas généralisable. Or, sans l’analyse
de ce contenu, toute prétention de traitement de la psychose est
vaine. La cure analytique du psychotique établira elle, les liens
logiques et de structure que la construction délirante entretient
avec les événements traumatiques et fantasmatiques de l’histoire
subjective, tels qu’ils seront élaborés et reconstruits à l’aide
du travail du rêve. La symptomatologie psychotique devient ainsi
liée dans son contenu et dans sa forme à une réalité psychique que
seule la parole du sujet peut révéler. Le traitement dès lors se
situe sur un tout autre terrain. Il ne peut se contenter de viser
la «correction de l’interprétation délirante à la lumière des faits
de la réalité» qui est en fait la réalité sociale du soignant ou
la réadaptation à cette réalité sous toutes ses formes. La cure
analytique vise plutôt le changement de position du sujet à partir
du réaménagement complet de la solution psychique qu’il avait construite
dans son délire. Qu’à partir de là, des évaluations objectives viennent
confirmer ces changements en en mesurant les conséquences sur les
symptômes généralement associés à la psychose, voilà qui pourrait
être particulièrement intéressant et instructif. La psychanalyse
aurait tort de reculer devant de tels défis.
L’objectivité
des différentes méthodes évaluatives ne peut pas se mesurer à la
machinerie instrumentale employée pas plus qu’on ne peut faire d’une
méthodologie «expérimentale» une démarche nécessairement scientifique
qui se reconnaîtrait plutôt, elle, à sa rigueur logique et à la
pertinence du choix de sa méthode en regard de l’objet à mesurer.
Or, dans le traitement psychique, la prise en compte de la position
spécifique du sujet au delà de toute généralisation possible devient
incontournable. Elle ne peut pas être recouverte par l’évaluation
par un tiers observateur de la phénoménologie à laquelle elle donne
lieu.
Dans
le champ de la psychanalyse où la parole du sujet est centrale, une
démarche rigoureuse s’impose quand nous voulons mesurer les effets
du traitement. Même si, par « l’Observatoire clinique » du GIFRIC,
nous menons au «388» des évaluations continues sur des critères tels
que la diminution des hospitalisations, de la médication neuroleptique
et les changements repérés dans le mode de vie et de participation
sociale, de telles recherches ne peuvent suffire pour nous. L’évaluation
du traitement psychanalytique ne saurait en effet se contenter de
faire état de résultats sans rendre compte des actes qui les ont engendrés,
de la logique qui articule ces changements les uns aux autres en regard
de la position du sujet et des conditions et moyens qui les ont rendus
possibles et prévisibles. À cet égard, la psychanalyse a des exigences
que sont loin de pouvoir atteindre la psychiatrie biologique et les
neurosciences.
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