Changement
de position du psychotique dans le transfert
Le
clinicien ou l’analyste n’est pas mis en position de «sujet
supposé savoir» par le psychotique. Le savoir est plutôt du
côté de ce dernier qui en fera état à quiconque voudra bien
l’écouter. C’est entre autres choses sur la base de cette impossibilité
du psychotique à être «sous transfert» que les analystes ont
ou bien déserté le terrain de la psychose ou admis que, sur
ce terrain, le savoir analytique ne pouvait qu’être appliqué
à la psychose pour mieux en saisir les causes et les effets
et offrir une écoute qui vise à stabiliser le délire. Le sujet
psychosé ne pouvait pas en effet «entrer en analyse» et travailler
en position d’analysant, à partir de matériaux produits par
l’Inconscient, à l’élaboration d’un nouveau savoir qui modifie
radicalement sa position subjective.
Notre
position a été autre. Nous avons modifié notre conception du
transfert et opéré un double déplacement de notre position d’analyste.
Il est juste de dire que le psychotique n’entre pas dans le
transfert, si nous maintenons de celui-ci une conception qui
est en fait strictement liée à la névrose. Bien installé dans
le lien social et dans l’univers de la séduction, le névrosé,
fuyant toute responsabilité face à ce qui vient de l’Autre Scène
mettre en péril son organisation narcissique, entrera dans cette
méprise où il supposera à l’analyste ce savoir de l’Inconscient
dont il ne veut, lui, rien savoir. Freud souligne à cet égard
l’obstacle majeur que représente l’amour de transfert dans l’analyse.
Lacan aussi relève le leurre où se conforte le névrosé en faisant
de l’analyste le «sujet supposé savoir». Tirant en quelque sorte
les conséquences de l’hypothèque que constitue cette méprise
dans la névrose, Willy Apollon est revenu à une conception radicale
du transfert comme «amour du savoir de l’Inconscient». À partir
de là, nous avons pu apporter deux changements majeurs à notre
position d’analyste, déplacements qui ont rendu possible l’entrée
du psychotique dans la cure analytique. D’abord, en assumant
pleinement une position d’Autre manquant de ce savoir singulier,
issu de l’expérience du psychotique. Le savoir analytique ici
ne sert à rien sinon à permettre de soutenir une position de
«docte ignorance» et l’offre d’une adresse qui fera basculer
le psychotique d’une position d’objet à celle de sujet dont
on attend une parole sur son expérience. Puis, deuxième déplacement,
c’est l’analyste qui suppose au psychotique un savoir inscrit
en lui, autre que celui du délire et surtout, inassimilable
à l’interprétation délirante. Pour nous donner accès à cette
vérité, le rêve est sollicité et deviendra la voie d’accès,
le lieu d’émergence et d’élaboration de ce savoir dont le psychosé
est manquant au début de la cure. Découvrant le travail du rêve
qui, à un moment clé de la cure, se met à suivre son cours indépendamment
de la logique du délire, le psychotique entre dans le transfert
en supposant un savoir non pas à l’analyste mais au rêve lui-même.
Alors seulement, l’analyste est supposé savoir comment le guider
dans ce travail qu’il fait avec son rêve.
Dans
ce processus, un certain nombre d’étapes sont identifiables
et peuvent être «vérifiées». D’abord ce premier temps où le
psychotique «sait», d’un savoir opaque qu’il fonde sur des certitudes
inentamables et incontestables parce qu’issues d’expériences
subjectives singulières. Son discours, alors explicite, élabore,
structure et consolide un système que nous disons délirant.
Le psychotique «travaille» dans la ligne de la solution qu’il
a spontanément développée dans un discours qui cherche à établir
la théorie de ce nous avons appelé «l’expérience psychotique»
(soit la modalité de jouissance de l’Autre dont il est l’objet,
la justification de sa position d’élu ou d’objet de cette jouissance
par l’identification d’un sacrifice qu’il doit accomplir ou
d’une mission de reconstruction d’un nouveau langage ou d’un
nouvel ordre du monde pour solutionner un défaut fondamental
qui concerne toute l’humanité). Dans cette étape de la cure,
même si l’analyste réclame du rêve, le rêve présenté n’en est
pas un. Il est indissociable du délire dont il n’est qu’une
variante. Les associations auxquelles il donne lieu sont les
prolongements du développement du système délirant.