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Débat


 


Qui a peur de la psychanalyse?
Willy Apollon

Comment penser une évaluation d'un traitement psychanalytique des psychoses
Lucie Cantin

 

Comment penser une évaluation
d'un traitement psychanalytique des psychoses

Lucie Cantin
La cure psychanalytique du psychotique. Enjeux et stratégies (2008), Éditions Giifric, Québec : 87-120.

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II. Vu de l’extérieur :
La vérification par le tiers en position de passeur,
l’évaluation par l’observateur externe

Les quatre dimensions que nous venons de définir où se mesurent les avancées du psychotique dans le travail analytique cernent du coup les éléments dont le psychotique lui-même peut témoigner, en position de passant en quelque sorte, face à d’autres, capables d’entendre et de prendre la mesure des progrès dont il rend compte. Je distinguerais à cet égard, deux positions différentes de «témoins» à qui le psychotique fait état de son évolution : d’abord, le tiers en position de passeur, habilité à reconnaître les changements psychiques profonds que supposent les modifications dont il est témoin dans le discours et dans la vie du psychotique ; puis l’observateur externe à qui le psychotique s’adresse sur la scène sociale et qui prend acte d’un certain nombre de changements qu’il peut lui-même évaluer, mais sans pouvoir les lier à ce qui les a rendus possibles dans le processus analytique.

Le tiers témoin en position de passeur

Dans le Centre de traitement «Le 388» où nous opérons, deux personnes sont de façon permanente, dans cette position de tiers passeur capable d’évaluer le déplacement et l’évolution du psychotique dans le processus analytique : le psychiatre traitant et l’intervenant clinique. Le psychiatre traitant qui est aussi par ailleurs un psychanalyste sera non seulement le témoin direct des effets de la cure analytique mais aura aussi l’occasion d’entendre le psychotique lui-même lui faire part des découvertes qu’il a faites dans son analyse. C’est d’ailleurs cette prise de parole du psychotique comme sujet et le savoir qu’il travaille à mettre en place et dont il rend compte au psychiatre qui donneront à celui-ci les moyens d’établir un mode de traitement qui n’est plus réductible au traitement du symptôme par la seule intervention médicamenteuse. Il aura en effet accès aux singularités de l’univers mental du psychotique, aux éléments déterminants de sa position subjective, aux changements provoqués par le travail analytique et à l’impact de ces changements profonds dans sa vie. Il pourra ainsi anticiper les moments cruciaux de la cure et leurs effets, prévenir les périodes difficiles liées aux réaménagements que le psychotique fait alors tant dans son univers mental que dans sa vie concrète.

C’est en effet essentiellement à partir du témoignage du psychotique lui-même que le psychiatre pourra repérer le point où en est ce dernier dans le processus analytique, mesurer la position de celui-ci par rapport au délire, devenir le témoin de la chute des idées délirantes, des modifications dans la phénoménologie de la crise et bien sûr des changements qui ont cours dans le rapport à l’autre et le lien social.

C’est aussi grâce au lien toujours maintenu avec le sujet et à l’accès constant à la logique de son parcours tel que ce dernier peut lui-même en faire état, que le psychiatre disposera des balises et moyens nécessaires pour traiter le psychotique en crise en dehors de l’hôpital, dans un milieu complètement ouvert où des ententes verbales et des engagements pris dans la parole avec lui deviennent suffisants pour constituer un cadre à l’intérieur duquel la crise peut être traversée. L’évolution des formes que prennent les crises à mesure que le psychotique avance dans son travail d’analyse rend possible le maintien d’une parole de sujet même pendant la crise.

Le psychotique arrive progressivement donc à maintenir une distance, une certaine position d’observateur capable de parler de quelque chose qui le traverse et qu’il ne contrôle pas, au moment même où il le vit. Du coup, dans cette position de témoin par rapport à lui-même qui rend possible pour lui la transmission de son expérience à un tiers, il donne au psychiatre la possibilité de discuter et de mettre en place avec lui les moyens nécessaires pour traverser la crise. À partir d’un certain point qui est très précisément le moment de l’entrée du psychotique dans le transfert, le traitement de la crise ne se fera plus sans lui, jusqu’à ce que progressivement le psychotique arrive, à la fin de la cure, à une autonomie psychique qui lui permettra d’assumer seul les situations qui auparavant le précipitaient dans une crise.

L’expérience nous a enseigné que seule la cure analytique pouvait entraîner de tels changements, en permettant au psychotique de constituer un savoir qui désormais lui sert de point d’appui dans la gestion de sa vie. Les psychotiques qui ont refusé d’entrer dans l’analyse nous ont montré la limite qu’ils rencontraient rapidement dans leur évolution, même si par ailleurs ils recevaient tous les autres services que le Centre peut offrir. Ils ne parvenaient jamais à dépasser un certain point, bien repérable dans l’absence d’évolution des crises qui ne se modifient pas, ni dans leurs formes, ni dans leurs fréquences, ni dans leurs contenus. En fait, en refusant de devenir des analysants, ils se maintiennent dans une position d’objet appelant une prise en charge institutionnelle dont les limites sont celles-là mêmes que le sujet pose au traitement en refusant d’y engager sa responsabilité.

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