La
coexistence du délire et d’un savoir nouveau issu de l’expérience
analytique prendra différentes formes plus ou moins importantes
jusqu’à ce qu’elle ne soit plus possible. Il est des moments
par exemple où le psychotique ne croit plus à son délire mais
y a recours dans des moments stratégiques. Un peu comme le névrosé
recule devant la castration et tient à son symptôme parce que
sa chute entraînerait un réaménagement de son rapport au désir
et à l’autre, le psychotique, à certains moments lutte contre
le désert, le vide, le trou que laisse la chute de la solution
du délire et de la psychose qui a été la sienne depuis toujours.
Au
fur et à mesure que se poursuit le travail analytique où le
psychotique «re-construit», en l’élaborant dans la parole, une
«histoire» subjective qui rend compte de son expérience, des
pans du délire tombent un à un chaque fois que ce qui en constituait
le centre se dénoue dans le travail de mise en forme d’une logique
autre. Cette reconstruction, au sens précis où l’entend Freud
dans son texte sur la construction en analyse, où il compare
le travail de l’analyse à celui de l’archéologue qui établit,
reconstitue ce qui «se serait passé» ou «aurait eu lieu» à partir
des restes et traces laissées, ce travail donc du psychotique
dans l’analyse rend progressivement le délire caduc, inutile.
Le délire tombe par blocs à mesure que les expériences psychiques
qui leur avaient donné consistance trouvent leur voie et leur
explication dans une nouvelle logique établie dans la parole.
Par exemple, le matériel surgi pendant et à la suite d’une période
de crise aiguë sera ainsi soumis au travail de l’analyse et
permettra des avancées importantes dans le dénouement de points
cruciaux du système délirant.
À
partir de là, la reconstruction d’un nouveau lien social, qui
n’est plus basé sur l’entreprise psychotique mais sur une nouvelle
position du sujet en regard de la jouissance, deviendra l’élément
décisif qui signera la sortie du psychotique de ce mouvement
oscillatoire où la porte du refuge dans l’imaginaire du délire
était maintenue ouverte. Le travail de la cure aura en effet
entraîné des changements de position subjective qui à leur tour
appellent des modifications profondes dans la vie du psychotique.
En fait, face au savoir désormais constitué, le délire devient
inutile à la fois comme explication de l’expérience subjective
et comme structure imaginaire du lien social.
Changement
de position du sujet dans la crise psychotique
Ces étapes dans la mise en place du transfert et dans la destitution
du statut du délire ont des effets identifiables et très précis
sur la phénoménologie de la crise qui se trouve modifiée jusqu’à
disparaître complètement, du moins dans la forme «visible» et
handicapante qu’elle avait toujours prise. Trois grands temps
logiques marquent le changement de position du sujet par rapport
à la crise psychotique et son traitement. Ces grands moments
sont tributaires des avancées de l’analyse.
Nous
avons appelé « première crise » ou « crise d’inscription » (Apollon),
celle qui pour la première fois sera traitée sous transfert.
Elle suppose une première étape franchie dans la cure, à savoir
précisément la découverte de la logique autre que celle du délire
à laquelle donnent accès le rêve et son travail. Le transfert
s’est installé et rend dès lors possible le traitement de la
crise avec les moyens de l’analyse. Ce n’est pas tant le fait
que cette «première» crise se déroule complètement au Centre
sans recours à l’hospitalisation qui la rend déterminante, c’est
qu’elle marque l’engagement du psychotique dans le traitement
analytique. Il traversera la crise en continuant de parler et
de répondre à la contrainte qui est posée de dire plutôt que
d’agir et c’est sur la base du maintien de ce contact avec le
sujet de la parole que le traitement de la crise sera possible
en dehors des murs de l’hôpital. Le travail de la cure aura
aussi appris au psychotique qu’il devra revenir sur cette crise
qu’il traverse et analyser son contenu, les circonstances qui
l’ont provoquée, les idées délirantes qui ont orienté et déterminé
les comportements qu’il a eus, les actes qu’il a posés, etc.
Il peut supposer à partir du travail du rêve tel qu’il en a
fait l’expérience jusque-là dans la cure, que tout ce qui surgit
à l’occasion d’une crise est aussi «organisé» d’un autre lieu
et structuré par une logique à découvrir. C’est donc essentiellement
le cadre analytique qui lui sert de référence pour traverser
cette période difficile, sans qu’il n’ait besoin des contraintes
physiques ou des murs de l’hôpital qui auparavant venaient limiter
les conduites erratiques de la crise.