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Débat


 


Qui a peur de la psychanalyse?
Willy Apollon

Comment penser une évaluation d'un traitement psychanalytique des psychoses
Lucie Cantin

 

Comment penser une évaluation
d'un traitement psychanalytique des psychoses

Lucie Cantin
La cure psychanalytique du psychotique. Enjeux et stratégies (2008), Éditions Giifric, Québec : 87-120.

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Par ailleurs, si l’État est dans l’obligation d’empêcher le contrôle des services publics par un groupe donné qui en aurait en quelque sorte le monopole, il n’est pas pour autant tenu de se prononcer sur l’orientation théorique et clinique des services qu’il dispense. C’est là une affaire de débat public assuré par le travail des spécialistes. L’évaluation faite par l’État vise plutôt à mesurer la qualité, l’efficacité et donc les résultats cliniques d’un type de traitement, tout en tenant compte du niveau de satisfaction des utilisateurs et des citoyens qui, à travers leurs impôts, paient pour de tels services. Il est dès lors normal que l’État ait ce devoir de réserve et une position exempte de parti pris face aux différentes approches théoriques qui définissent les pratiques cliniques qu’il veut évaluer. C’est là une condition nécessaire au développement des pratiques et services offerts au public.

Il y a donc eu une évaluation du «388», commandée par l’État et confiée à une équipe constituée des experts les plus reconnus au Québec dans le domaine des évaluations de programmes cliniques. Les évaluateurs n’étaient pas des psychanalystes, certains ayant même des formations très opposées à la psychanalyse. Leur approche ne visait donc pas l’évaluation des objectifs du traitement psychanalytique non plus que l’atteinte de ces objectifs. Ils avaient en quelque sorte une position et un regard extérieurs et voulaient plutôt mesurer la pertinence et la qualité des services offerts en regard des «pratiques généralement reconnues» dans le traitement des psychoses.

Mais ce qu’ils ont découvert, même vu «de l’extérieur», a dépassé cet objectif de mesure de la conformité. Il faut à cet égard souligner l’honnêteté et l’éthique dont ont fait preuve les évaluateurs qui ont su sortir des seules balises « clinico-administratives » pour se mettre à l’écoute d’un certain nombre d’acteurs importants, dont bien sûr en premier lieu, les usagers eux-mêmes. Outre le constat de la très grande qualité des pratiques cliniques eu égard aux normes en vigueur, le rapport des évaluateurs est donc allé plus loin, en faisant état d’un ensemble de remarques liées en fait aux effets du traitement tels qu’ils pouvaient en prendre la mesure dans les témoignages obtenus des psychotiques eux-mêmes et d’autres «témoins» entendus (les parents, les professionnels de la région, le personnel traitant). Les experts, en choisissant d’entendre ce que les principaux intéressés (les patients et leurs proches) avaient à leur dire, ont eu accès dans une rencontre de plus de deux heures avec plus de quarante psychotiques, à des «paroles pleines» de sujets évoquant leur implication dans un traitement qui pour eux représentait un réel travail. Ils témoignaient de leur engagement dans le traitement et de ses effets concrets dans leur vie.

Sans revenir sur le détail du contenu de ce rapport, il me semble important de souligner la dimension d’événement qu’a prise cette rencontre des évaluateurs avec les psychotiques. Sans avoir pour objectif de juger de l’atteinte des objectifs du processus analytique, les experts avaient accès dans l’espace social aux effets de l’analyse chez des psychotiques qui se comportaient et parlaient d’une façon inattendue. Ils en ont fait mention dans leur rapport, relevant notamment la façon dont les psychotiques «avaient définitivement appris à s’exprimer, à parler d’eux-mêmes et à dire ce qu’ils ressentent et désirent» et la façon dont ils avaient parlé en étant «fiers de dire qu’ils se considéraient rétablis ou en voie de le devenir». Les experts relevaient aussi qu’il était apparu évident que ces personnes «étaient capables de respect entre elles et envers les intervenants» et que pendant plus de deux heures qu’avait duré cette rencontre, il n’y «avait eu aucun dérapage … chacun attendant son tour pour parler» de telle sorte que «le meneur de la rencontre n’avait eu aucune difficulté à animer cette assemblée». Et ils concluaient : «Forte note donc pour quarante personnes ayant des diagnostics de schizophrénie pour la majorité, et pour d’autres, des troubles bipolaires avec caractéristiques psychotiques. Nous avons en effet constaté qu’il s’agissait de personnes aux prises avec des problèmes graves et persistants de santé mentale, qui avaient cependant cheminé et présentaient des acquis importants au plan social et interpersonnel. Ces gens se sentent en sécurité, responsabilisés et en pouvoir d’émettre leurs opinions sur tout ce qui les concerne et ce qui concerne la programmation du "388" et son fonctionnement» (Denis, Morissette, Gagnon, 2002 : 8). Ce sont là en effet des aspects qui méritaient d’être reconnus et soulignés puisque la prise de parole et de position subjectives et l’articulation à l’autre dans le lien social constituent des points déterminants et censés, par définition, faire défaut dans la psychose. D’autant plus que par ailleurs, le constat de la gravité des troubles psychiques présentés par les personnes rencontrées ne permettait plus de mettre au compte d’une «sélection» positive des patients cette «forte note» qui leur était attribuée.

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