D’autres
équipes ou personnes ont aussi occupé cette place d’observateurs
externes et se sont retrouvées dans une position semblable
à celle des évaluateurs. Il y a un peu plus d’un an, un
journaliste d’un grand quotidien québécois rencontrait un
groupe de six usagers du «388» qui avaient accepté de répondre
à ses questions. Le journaliste, dans l’après-coup, nous
faisait part de la forte impression qu’avait eu sur lui
ce qu’il considérait être une expérience unique, surprenante
et touchante. Là encore, les usagers avaient choisi de témoigner
du choix de traitement qui avait été le leur, des effets
de ce traitement sur leur vie, du processus de la cure analytique
qu’ils considèrent toujours comme un véritable «travail»,
de la façon dont ils arrivent par le travail du rêve à «faire
des liens avec leur passé», etc. Quelques exemples de propos
tenus par les usagers lors de cette rencontre avec le journaliste
nous font mieux comprendre l’étonnement de ce dernier :
«Vous savez, même si en psychose on n’est pas toujours complètement
connecté à la réalité, ça part toujours de quelque chose.
Il suffit de le trouver» ; «Quand, dans la cure, on apprend
à décrire notre mal, les solutions arrivent différemment»
; «Ici, c’est nous qui sommes au cœur de notre travail,
on a les outils, mais c’est nous qui faisons le travail»
; «Avant, mon Inconscient me jouait des tours. Avec le travail
de la cure, j’explore cet Inconscient-là pour arriver à
le connaître» ; «De comprendre mes rêves, ça me fait comprendre
mes mécanismes à moi, mes perceptions. Être capable d’identifier
ce qui est de la perception, ce qui est du senti, ce qui
est de l’imaginaire. Et une fois que tu en parles, tu arrives
à le dissocier du réel et à démêler ce qui est réel et ce
qui ne l’est pas. Tu l’as défini, circonscrit et tu l’as
analysé. Et en l’analysant, tu te comprends mieux toi-même,
tu as un regard sur toi, une réflexion sur toi. Ce qui fait
que s’il se passe quelque chose qui te fait peur, ça donne
un temps de recul, ça permet de ne pas être subjugué par
tes réactions» ; «Tu penses : j’ai déjà vu cela. Il faut
que je fasse attention, je sais comment ça va marcher »
; «On développe une façon de toujours se mettre en lien
avec la source de notre malaise, de notre souffrance, de
retourner à la source ». Ce genre de discours, inattendu
de la part de psychotiques, était pour le journaliste la
marque d’un «travail» dont il entendait les effets.
Plus récemment, un groupe de chercheurs de l’Université
Harvard de Boston, subventionné par le NIMH américain (National
Institute for Mental Health) et travaillant à déterminer
les conditions qui rendent possible la réintégration sociale
des personnes souffrant de troubles mentaux graves, s’est
intéressé au «388» en raison de la qualité des services
qui y sont offerts et des résultats cliniques obtenus. Ils
ont donc sollicité la collaboration du GIFRIC à leur travail
et ont eu l’occasion, lors d’une récente visite au «388»,
de rencontrer un groupe constitué d’une vingtaine d’usagers.
Bien que s’intéressant essentiellement aux conditions et
effets du traitement sur le niveau de réintégration sociale
des personnes, ces chercheurs ont dit « avoir entendu les
effets du traitement analytique » dans les témoignages reçus,
dans la façon notamment dont les psychotiques s’expriment
et articulent en groupe leur position subjective en regard
du point où ils en sont dans leur traitement et dans leur
réarticulation sociale.
Il ressort de l’ensemble de ces expériences que l’observateur
externe, quel que soit son champ d’intérêt, à partir du
moment où il se met à écouter ce que les usagers ont à dire,
peut à travers leurs témoignages saisir les effets du traitement
analytique, identifiables à cette «distance» prise par le
sujet qui lui permet de parler de lui-même et de sa psychose
d’une façon remarquable et inédite pour l’observateur. Cette
reconquête d’un espace subjectif d’où une parole distanciée
devient possible sur ce qui aliène l’être est repérable
aussi par les psychiatres extérieurs au «388» quand ils
ont l’occasion d’évaluer un «patient du "388"» qu’ils reconnaissent
toujours justement. La parole du sujet engagé dans le travail
analytique ouvre l’accès à un univers mental autrement inabordable
qui, loin de biaiser «l’objectivité» de l’évaluation, livre
une logique et des enjeux psychiques indispensables à une
véritable évaluation clinique. Je laisserai l’un de ces
psychiatres extérieurs exprimer ce qu’ils observent :