Le
psychotique est alors, troisième temps, mis au travail par le
rêve, introduit à un autre travail que celui de l’élaboration
du délire. C’est là un moment crucial, où le psychotique, ou
bien entre dans cette supposition d’un savoir au rêve ou bien
s’y refuse après avoir entrevu les effets à venir d’un tel travail
sur la certitude délirante. Pour ceux, la majorité, qui entrent
vraiment alors dans l’analyse, c’est le rêve qui devient non
seulement l’occasion et le lieu d’élaboration du savoir de l’Inconscient,
mais l’objet «indépendant» à la fois du savoir de l’analyste
et du délire, déplaçant radicalement la position de l’analyste
de celle, persécutrice, qu’elle aurait pu représenter.
C’est
à ce moment que le psychotique, quatrième temps, entre véritablement
dans le transfert, dans un désir de savoir bien établi qui surpasse
et prime sur les effets d’angoisse que peut représenter le travail
d’analyse. C’est aussi à cette étape que le psychotique suppose
à l’analyste non pas un savoir sur son expérience de sujet mais
un savoir de guide, qui sait «comment» travailler. Ce dernier
temps est bien repérable dans le témoignage que peut en faire
l’analysant à un tiers, mais plus fondamentalement dans la position
qui est alors la sienne dans le traitement de l’angoisse, face
à la mise en cause des idées délirantes par le rêve lui-même
et dans la crise.
Changement
de position du sujet par rapport au délire
De
façon concomitante et articulés logiquement aux étapes d’installation
du transfert, s’inscrivent un certain nombre de déplacements
du psychotique dans son rapport au délire. La découverte du
savoir porté par le rêve, par les matériaux auxquels il donne
accès et à travers ce qu’il permet d’énoncer dans la parole,
introduit une autre logique pour rendre compte de l’expérience
subjective que le délire travaillait à expliquer et à justifier.
Les éléments de l’hallucination, le contenu des Voix, les actes
jusque-là «insensés» mis en scène dans la crise, les signifiants
du délire réapparaissent dans ces «souvenirs», événements traumatiques
et fantasmatiques de l’histoire, que le rêve et ses associations
travaillent à élaborer. Ce qui était inscrit dans le sujet et
revenait dans le réel et ce qui n’avait jamais été représenté
prend forme pour la première fois au moment où «ça» s’énonce
dans la parole et du coup se constitue un tout autre savoir
que celui mis en place par le travail de l’imaginaire dans le
délire. C’est donc le savoir du rêve lui-même et non l’interprétation
potentiellement persécutrice de l’analyste qui ébranle la certitude
délirante. Il y a là un temps précis dans la cure, bien repérable,
où le doute s’installe et entame le fondement et l’opacité du
délire. Dans ce temps qui correspond au premier déplacement
de position du psychotique dans son rapport au délire, si la
certitude délirante est trouée, il n’en reste pas moins que
le doute cohabite en quelque sorte avec le discours délirant.
Mais ce début de mise en cause du délire se mesure par la distance
prise par le sujet face à ce qui auparavant n’était que source
d’angoisse ou ne pouvait pas même être questionné. Par exemple,
à cette période de la cure, le psychotique pourra manifester
un étonnement enthousiaste et amusé face aux découvertes que
permet le rêve, même quand elles mettent en cause l’explication
construite par le délire. Ou alors, il commencera à faire de
l’humour face à certaines idées du délire, tel ce patient qui
a la certitude de «voler l’énergie des autres» et est ainsi
responsable de leur malheur et qui, en annonçant que sa copine
est en crise, ajoute en éclatant de rire, «bien sûr je pense
que c’est moi qui lui ai pris son énergie».
Un deuxième temps s’ouvrira avec ce que nous avons identifié
plus haut comme la supposition par le psychotique d’un savoir
porté par le rêve et l’entrée progressive dans le désir de savoir
que le psychotique assumera désormais jusqu’à attendre du rêve
qu’il «réponde» aux interrogations soulevées par son travail
d’élaboration. Temps donc qui fera du psychotique un «analysant»
qui désormais travaille à la constitution d’un savoir nouveau,
autre que celui du délire. Depuis l’introduction du doute dans
la certitude délirante jusqu’à la chute du délire, les avancées
de la cure marqueront des temps logiques identifiables à leurs
effets. La mise en place progressive du savoir produit dans
l’analyse entraînera par exemple une oscillation entre des périodes
où le psychotique critique le délire et d’autres moments où
il y revient complètement. Mais ce qui est marquant ici et constitue
une avancée définitive et bien repérable est le fait que ces
deux mouvements coexistent, même pendant la crise. Comme si
la distance du sujet dans son rapport au délire était désormais
irréversible, incontournable et marquait un point de non-retour.
Cette avancée a des effets déterminants, tant dans la phénoménologie
de la crise qui, comme nous le verrons plus loin, en sera modifiée,
que dans le rapport à l’autre dans le lien social. Un espace
autre que l’univers structuré par le délire devient alors possible.
L’interprétation délirante ne recouvre plus tout entier le rapport
à l’autre qui peut alors se reconstruire dans l’espace social,
comme aussi peut se concrétiser à ce moment un retour à une
participation sociale, à travers des projets d’études, de travail,
de bénévolat, de productions artistiques, etc.