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Comment
penser une évaluation
d'un traitement psychanalytique des psychoses
Nous
pouvons repérer un second temps dans la modification
de la phénoménologie de la crise, rendu possible par
le changement de position du sujet dans le délire,
provoqué par son travail d’analyse. Cette «deuxième
crise» marque logiquement une nouvelle avancée. Ici,
le psychotique en crise aux prises avec quelque chose
qui le traverse et qu’il ne contrôle pas, demeure
dans le même temps présent comme sujet. À la fois
en position d’objet et de sujet, il nous dira par
exemple avoir le sentiment «à la fois d’être en crise
et de se regarder aller en crise» (sic). De fait,
seul un sujet peut témoigner d’une telle division.
C’est aussi à cette époque du traitement et parfois
à l’intérieur de la crise elle-même que le psychotique
oscille entre des périodes où il est complètement
captif du délire et d’autres où il doute et dit «savoir
que tout ça est imaginaire» (sic). La phénoménologie
nouvelle de la crise indique bien que la mise en cause
du délire et la distance qu’a prise le sujet sont
irréversibles. Elle dénote des changements profonds
dans la position du sujet. D’abord la crise indique
dans sa forme même que le psychotique est entré dans
le désir de savoir. Même pendant la crise, il s’observe
et demeure un sujet analysant. Il continue de venir
à ses séances, poursuit son travail et à défaut de
rêves qui vont en général diminuer pendant cette période,
il parle de la crise, de ce qu’il vit, pense, imagine,
souligne les éléments répétitifs par rapport aux crises
antérieures, etc. Ensuite, cette crise, beaucoup moins
spectaculaire et donc moins «handicapante» pour le
psychotique, est non seulement traversée sans recours
à l’hôpital mais ne marque plus ce temps de rupture,
subjective et sociale, qu’elle entraînait auparavant.
Puis
surtout, et c’est là le point le plus important, cette
«deuxième crise» indique que s’est constitué pour
le psychotique un savoir nouveau, autre que celui
du délire. L’organisation signifiante mise en place
avec le travail du rêve a indiqué sa logique propre
et fait tomber, en les rendant dès lors inutiles,
un certain nombre d’idées délirantes. Le psychotique
a découvert en lui une « Autre Scène », structurée
par une logique autre que celle du délire. Et cette
crise, qui dans sa modalité même, fait apparaître
une division interne, témoigne de la distance désormais
effective entre le sujet et ce qui fait objet en lui.
Cette «extériorité interne» dont le psychotique continue
de faire l’expérience dans la cure à travers le rêve
et l’élaboration de ce qui n’avait jamais été représenté
rend compte autrement de cette position «d’objet»
de la jouissance d’un Autre imaginaire qui était la
sienne dans le délire. Ce changement dans la phénoménologie
de la crise est donc tributaire de la constitution
du savoir de l’Inconscient dans l’analyse.
Une
troisième crise, beaucoup plus discrète dans sa forme,
sera liée aux obstacles rencontrés au moment où le
sujet est confronté à la nécessité éthique de créer
les modalités d’une nouvelle réarticulation à l’espace
social, cette fois sur la base de ce qu’il sait et
sans pouvoir avoir recours aux solutions qui étaient
les siennes dans la psychose. Le psychotique n’est
pas devenu un névrosé et s’il sait désormais ce qui
a déterminé pour lui le «choix» et la solution de
la psychose et entraîné son retrait social, il n’en
reste pas moins face à une société dont le fonctionnement
repose sur des valeurs qu’il ne reconnaît pas comme
siennes. Ou encore il se retrouve à ce moment face
aux manques réels entraînés par la précocité d’un
retrait social qui le laisse avec peu de moyens pour
créer un mode de participation sociale qui soit satisfaisant.
Cette crise n’est plus en soi une crise psychique.
Elle relèverait plutôt d’une impasse du sujet face
à la nécessité de trouver un nouveau mode d’articulation
au lien social, au moment où le délire et la phénoménologie
habituelle de la psychose ne sont plus possibles.
À ce moment, la crise est traversée uniquement dans
le cadre de l’analyse. Les moyens mis en place dans
les crises antérieures pour supporter le psychotique
sont en fait inutiles. La crise est issue d’une impasse
que seul le sujet peut solutionner puisque sa résolution
dépend essentiellement et précisément des moyens qu’il
arrivera à créer.
Changement
de position du psychotique dans sa participation sociale
Les
changements de position du psychotique quant à sa participation
à la vie sociale et citoyenne sont eux, bien repérables
et mesurables d’un point de vue extérieur. Retour aux
études, retour au travail, engagement dans une œuvre
de bénévolat, reconstruction d’un réseau social et de
relations affectives significatives, autonomie financière
permettant l’amélioration du lieu de vie et des conditions
générales de vie, etc., sont autant de points de repère
clairs et identifiables par un observateur externe,
sur lesquels nous tenons nous aussi d’ailleurs tout
un ensemble de données. Je n’en dirai donc que quelques
mots pour souligner la nécessité d’évaluer la dimension
qualitative de ces divers critères de changements pour
en estimer réellement la teneur. Il ne suffit pas en
effet qu’un psychotique vive dans la société pour qu’il
soit réinscrit dans l’espace social et y occupe une
place active en y assumant des responsabilités de citoyen
participatif. Ce qu’il faut pouvoir mesurer ici, c’est
bien cette nouvelle position du sujet, ce changement
d’éthique à partir duquel il a pu restaurer son rapport
aux autres en dehors des enjeux imaginaires qui étaient
ceux du délire et créer une modalité propre d’inscription
à la vie sociale à travers une participation effective
à la société, reconstruite sur la base de ce qui depuis
toujours a déterminé sa position de sujet et l’objet
de sa quête. Ce n’est qu’à ces conditions que nous pouvons
parler de véritable entrée du psychotique dans le lien
social. Le psychotique n’entre, ni ne rentre jamais
dans le rang. On ne peut pas le «réinsérer» socialement.
Bien sûr, on peut le faire vivre en dehors de l’hôpital
et lui faire faire de quelconques activités ou travaux
pour «l’occuper», mais ça ne saurait constituer pour
nous des critères valables pour mesurer la réinscription
du sujet dans la création d’un nouveau lien social fondé
sur ses exigences subjectives. L’évaluation de l’occurrence
de changements de position du psychotique dans son rapport
à la vie et à la participation sociales ne peut se faire
de façon indépendante de celle des réaménagements psychiques
profonds dont nous avons fait état plus haut, notamment
dans le rapport du sujet au délire. En effet, puisque
ce dernier incluait dans sa logique propre une solution
incompatible avec le lien social parce basée sur la
création d’un nouveau langage ou d’un nouvel ordre du
monde, la réarticulation du sujet à l’espace social
suppose la chute de cette solution promue par le délire.
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