>[Retour aux Activités 2009-2010]


>[Fil de discussion]

>[Nos actualités]

>[Carnets de lecture]

>[Débat]

>[Courrier]

>[Liens]

>[Archives]


Débat


 


Qui a peur de la psychanalyse?
Willy Apollon

Comment penser une évaluation d'un traitement psychanalytique des psychoses
Lucie Cantin

 

Comment penser une évaluation
d'un traitement psychanalytique des psychoses

Lucie Cantin
La cure psychanalytique du psychotique. Enjeux et stratégies (2008), Éditions Giifric, Québec : 87-120.

page 1 | page 2 | page 3 | page 4 | page 5 | page 6 | page 7
page 8 | page 9 | page 10 | page 11 | page 12 | page 13 | page 14

Nous pouvons repérer un second temps dans la modification de la phénoménologie de la crise, rendu possible par le changement de position du sujet dans le délire, provoqué par son travail d’analyse. Cette «deuxième crise» marque logiquement une nouvelle avancée. Ici, le psychotique en crise aux prises avec quelque chose qui le traverse et qu’il ne contrôle pas, demeure dans le même temps présent comme sujet. À la fois en position d’objet et de sujet, il nous dira par exemple avoir le sentiment «à la fois d’être en crise et de se regarder aller en crise» (sic). De fait, seul un sujet peut témoigner d’une telle division. C’est aussi à cette époque du traitement et parfois à l’intérieur de la crise elle-même que le psychotique oscille entre des périodes où il est complètement captif du délire et d’autres où il doute et dit «savoir que tout ça est imaginaire» (sic). La phénoménologie nouvelle de la crise indique bien que la mise en cause du délire et la distance qu’a prise le sujet sont irréversibles. Elle dénote des changements profonds dans la position du sujet. D’abord la crise indique dans sa forme même que le psychotique est entré dans le désir de savoir. Même pendant la crise, il s’observe et demeure un sujet analysant. Il continue de venir à ses séances, poursuit son travail et à défaut de rêves qui vont en général diminuer pendant cette période, il parle de la crise, de ce qu’il vit, pense, imagine, souligne les éléments répétitifs par rapport aux crises antérieures, etc. Ensuite, cette crise, beaucoup moins spectaculaire et donc moins «handicapante» pour le psychotique, est non seulement traversée sans recours à l’hôpital mais ne marque plus ce temps de rupture, subjective et sociale, qu’elle entraînait auparavant.

Puis surtout, et c’est là le point le plus important, cette «deuxième crise» indique que s’est constitué pour le psychotique un savoir nouveau, autre que celui du délire. L’organisation signifiante mise en place avec le travail du rêve a indiqué sa logique propre et fait tomber, en les rendant dès lors inutiles, un certain nombre d’idées délirantes. Le psychotique a découvert en lui une « Autre Scène », structurée par une logique autre que celle du délire. Et cette crise, qui dans sa modalité même, fait apparaître une division interne, témoigne de la distance désormais effective entre le sujet et ce qui fait objet en lui. Cette «extériorité interne» dont le psychotique continue de faire l’expérience dans la cure à travers le rêve et l’élaboration de ce qui n’avait jamais été représenté rend compte autrement de cette position «d’objet» de la jouissance d’un Autre imaginaire qui était la sienne dans le délire. Ce changement dans la phénoménologie de la crise est donc tributaire de la constitution du savoir de l’Inconscient dans l’analyse.

Une troisième crise, beaucoup plus discrète dans sa forme, sera liée aux obstacles rencontrés au moment où le sujet est confronté à la nécessité éthique de créer les modalités d’une nouvelle réarticulation à l’espace social, cette fois sur la base de ce qu’il sait et sans pouvoir avoir recours aux solutions qui étaient les siennes dans la psychose. Le psychotique n’est pas devenu un névrosé et s’il sait désormais ce qui a déterminé pour lui le «choix» et la solution de la psychose et entraîné son retrait social, il n’en reste pas moins face à une société dont le fonctionnement repose sur des valeurs qu’il ne reconnaît pas comme siennes. Ou encore il se retrouve à ce moment face aux manques réels entraînés par la précocité d’un retrait social qui le laisse avec peu de moyens pour créer un mode de participation sociale qui soit satisfaisant. Cette crise n’est plus en soi une crise psychique. Elle relèverait plutôt d’une impasse du sujet face à la nécessité de trouver un nouveau mode d’articulation au lien social, au moment où le délire et la phénoménologie habituelle de la psychose ne sont plus possibles. À ce moment, la crise est traversée uniquement dans le cadre de l’analyse. Les moyens mis en place dans les crises antérieures pour supporter le psychotique sont en fait inutiles. La crise est issue d’une impasse que seul le sujet peut solutionner puisque sa résolution dépend essentiellement et précisément des moyens qu’il arrivera à créer.

Changement de position du psychotique dans sa participation sociale

Les changements de position du psychotique quant à sa participation à la vie sociale et citoyenne sont eux, bien repérables et mesurables d’un point de vue extérieur. Retour aux études, retour au travail, engagement dans une œuvre de bénévolat, reconstruction d’un réseau social et de relations affectives significatives, autonomie financière permettant l’amélioration du lieu de vie et des conditions générales de vie, etc., sont autant de points de repère clairs et identifiables par un observateur externe, sur lesquels nous tenons nous aussi d’ailleurs tout un ensemble de données. Je n’en dirai donc que quelques mots pour souligner la nécessité d’évaluer la dimension qualitative de ces divers critères de changements pour en estimer réellement la teneur. Il ne suffit pas en effet qu’un psychotique vive dans la société pour qu’il soit réinscrit dans l’espace social et y occupe une place active en y assumant des responsabilités de citoyen participatif. Ce qu’il faut pouvoir mesurer ici, c’est bien cette nouvelle position du sujet, ce changement d’éthique à partir duquel il a pu restaurer son rapport aux autres en dehors des enjeux imaginaires qui étaient ceux du délire et créer une modalité propre d’inscription à la vie sociale à travers une participation effective à la société, reconstruite sur la base de ce qui depuis toujours a déterminé sa position de sujet et l’objet de sa quête. Ce n’est qu’à ces conditions que nous pouvons parler de véritable entrée du psychotique dans le lien social. Le psychotique n’entre, ni ne rentre jamais dans le rang. On ne peut pas le «réinsérer» socialement. Bien sûr, on peut le faire vivre en dehors de l’hôpital et lui faire faire de quelconques activités ou travaux pour «l’occuper», mais ça ne saurait constituer pour nous des critères valables pour mesurer la réinscription du sujet dans la création d’un nouveau lien social fondé sur ses exigences subjectives. L’évaluation de l’occurrence de changements de position du psychotique dans son rapport à la vie et à la participation sociales ne peut se faire de façon indépendante de celle des réaménagements psychiques profonds dont nous avons fait état plus haut, notamment dans le rapport du sujet au délire. En effet, puisque ce dernier incluait dans sa logique propre une solution incompatible avec le lien social parce basée sur la création d’un nouveau langage ou d’un nouvel ordre du monde, la réarticulation du sujet à l’espace social suppose la chute de cette solution promue par le délire.

[Page précédente]

[Page suivante]


Groupe interdisciplinaire freudien de recherche et d'intervention clinique et culturelle

342, boul. René-Lévesque ouest,Québec, Qc, Canada,G1S 1R9